Les sans-papiers de Marseille
A Marseille, comme à Paris ou ailleurs en France, les sans-papiers ne baissent pas les bras et se battent toujours pour obtenir leur régularisation. Même s’il leur est difficile de se faire entendre des autorités, le travail de fond continue, grâce à des militants dévoués comme Aminata Diouf.
Au bureau de l’Union locale de la CGT, à Marseille, en plein centre-ville, il suffit juste d’être d’origine étrangère et de se présenter à l’accueil pour s’entendre dire rapidement : « Pour les sans-papiers, c’est par-là ! » Et par-là, c’est la petite salle où Aminata Diouf, ancienne sans-papiers régularisée depuis cinq ans environ, assure ses permanences. Ce endroit, connu des sans-papiers de Marseille en quête de régularisation, est un lieu d’espoir.
» Elle aide beaucoup, beaucoup de gens « , dit un boulanger maghrébin de la ville en parlant d’Aminata Diouf. « Elle est motivée et motive les gens. » Les sans-papiers de Marseille approuvent ce jugement. Elle est connue pour avoir obtenu des régularisations de sans-papiers. Ils ne cessent de l’appeler sur son portable ou de l’aborder dans la rue pour demander un conseil ou l’état d’avancement de leur dossier. Aminata Diouf a suivi une formation auprès du Gisti (association d’aide aux immigrés) pendant plus de deux ans afin de mieux appréhender la législation française sur l’immigration. Agent de médiation auprès des primo-arrivants, elle bénéficie de deux jours de dérogation, le mardi et le jeudi, qui lui permettent de recevoir les sans-papiers en quête de soutien. Mais, depuis que la droite a changé de discours sur les sans-papiers en parlant d’harmonisation et d’assouplissement, cela ne suffit plus, « il y a eu beaucoup de sans-papiers qui sont sortis de l’ombre, donc ils viennent nous voir. Pour aider ces gens-là, j’ai rajouté le mercredi. » Avec ce temps supplémentaire, son quotidien est pleinement consacré aux immigrés et spécialement aux sans-papiers. Au point de rentrer tard chez elle, dans les quartiers Nord de Marseille. « Si je peux me donner à 100%, c’est parce qu’en rentrant à 1 ou 2 heures du matin, ça ne change rien, personne ne m’attend à la maison » explique Aminata. La dame est restée célibataire.
A sa permanence, même si elle est dévouée, elle sait ne pas se laisser débordée. Et agit avec habileté et humour. Des couples, des célibataires, une majorité de Maghrébins, souvent des demandeurs l’attendent devant sa salle. Les rencontres s’enchaînent, comme ce mardi après-midi. Aminata est pressée, elle a, après sa permanence, une réunion avec la CGT.
Mustapha rentre. Il est Algérien, marié ici à une femme qui travaille et qui possède une carte de séjour. Il avait fait une demande d’asile. Mais pour Aminata son cas va « basculer » dans le cadre de la vie privée et familiale. En effet, pour un couple justifiant de trois ans de vie commune en France, c’est théoriquement plus simple, d’après « l’article 12 bis alinéa 7 », certifie Aminata Diouf. Mais ce n’est pas gagné, il va falloir une intervention. « Nous allons envoyer un courrier. On va faire ce qu’on peut. » Avant de laisser partir l’homme, Aminata n’oublie pas de l’avertir : « Tous les mercredis, il faut être avec nous. Il faut qu’on soit nombreux. « C’est le jour de la manifestation rituelle des sans-papiers marseillais, qui vont du siège de la CGT, pas loin de la gare, à la Préfecture en scandant le fameux slogan » Non, non au cas par cas ! Régularisation de tous les sans-papiers ! Arrive une étudiante algérienne, déjà ingénieur agronome. Travaillant en CDI dans un Quick pour payer des études qu’elle veut poursuivre, elle s’est vue refusée par la DDTE son changement de statut. Son directeur d’études refuse sa réinscription. Elle n’a plus le droit de travailler et son titre de séjour arrive à expiration. Elle a déjà écrit une lettre de recours gracieux à la Préfecture. Pour Aminta, la lettre est mal écrite, « il va falloir la retaper ». L’étudiante explique son désarroi, elle ne tient plus. Son boss, qui ne veut pas la licencier, la pousse à bout. Si elle démissionne d’elle-même, il n’aura pas d’indemnités à lui verser. « On va le casser en quatre, menace Aminata. On a cassé des gens plus forts que lui ! » La militante donne à la jeune femme son numéro de portable, au cas où. Et lui conseille d’aller sur place voir son directeur d’études pour lui faire changer d’avis. Et surtout, il faut lutter.
Ensuite c’est un couple de maghrébins tout sage tout calme qui s’installe près d’Aminata. Le mari montre plusieurs copies de bulletins de ses enfants. L’un d’eux a eu son BEP en comptabilité. L’autre a reçu des félicitations. Bref de bons élèves. Puis le monsieur donne à Aminata la copie d’un passeport et une promesse d’embauche. « Ok ! Ok ! Tout ça c’est des preuves de bonne intégration » dit-elle en prenant la liasse de documents. De plus la mère de la dame est de nationalité française. « Vous avez 3 ans de vie commune en France et des enfants. Cela prouve l’ intensité des attaches familiales « . Il faut mettre cela en avant. Le mari montre même des attestations d’impôts depuis 1999. Tout cela semble être du solide. Aminata bouscule un peu le couple, et désire passer aux suivants. « Dépêchez-vous, il y a du monde qui attend. Je ne vous terrorise pas mais… ». La femme veut rajouter quelque chose mais oublie quoi. « Je te donne mon numéro de portable », lui dit alors Aminata. Avant de partir, la dame lui demande s’il y a une chance. « Je ne promets rien. Je n’ai jamais rien promis. Mais avec la lutte, je soulève les montagnes ». Rassurante, elle rajoute à ce couple inquiet « Mettez-vous à l’aise. La France appartient à tout le monde ».
Un jeune homme, qui estime s’être fait voler son tour par deux femmes qui viennent de pénétrer dans la salle, proteste et tente de rentrer. Mais il se fait repousser vers la sortie par Aminata Diouf, avec fermeté, diplomatie et sourire : « Les femmes et les enfants d’abord ». Elle en profite pour lancer aux personnes qui trépignent d’impatience devant son bureau : « Ne restez pas derrière la porte. Moi, à ma permanence, je ne veux pas que les gens restent debout ». Les deux femmes ne seront pas épargnées non plus par Aminata, qui ne les voit pas aux manifs du mercredi. « S’il y a 300 dossiers, il faut 300 personnes dans les rues ». Ensuite, quand le jeune homme, un demandeur d’asile territorial, avoue ne pas tout comprendre aux rouages de l’administration française, Aminata répond « si vous maîtrisez mal cela, il faut être avec nous dans les actions ». Et rajoute « l’asile territorial, cela n’a jamais rien donné. Cela n’a pas commencé avec toi, cela ne finira pas avec toi ». Par contre, « j’écrirai dans mon dossier que vous êtes bien intégré, que vous savez lire… vue que la droite a assoupli les critères », il y a une chance. Mais avant de terminer, Aminata, fidèle à son credo : « Si vous ne venez pas [aux manifs], votre dossier attendra, dormira. Le jour où vous reviendrez, on le ressortira ». Le jeune homme se risque à lui demander son numéro de téléphone. La réponse : « Non, il faut venir aux manifs ! »
Pour Aminata, la parole et les dossiers, même complets, ne suffisent pas. Il faut de l’action ! Et continuer de manifester, bouger et se bouger. Après la lutte de Saint-Bernard, elle a traversé la France pour montrer l’image de marque des sans-papiers. « En 1999, elle fait Toulouse-Paris, à pieds. En 2002, toujours en marchant et à la tête d’un groupe de sans-papiers, elle relie Marseille à Paris ». Et si elle veut du monde les mercredis devant la préfecture, c’est pour créer « un rapport de force ». « Les RG [Renseignements Généraux] nous comptent. Dans les manifs, on était 400 peut-être 500. Si le mouvement commence à faiblir, le préfet n’aura plus peur du rapport de force. Il dira : « maintenant, je laisse pourrir les choses, ça y est, ils se sont dispersés ».
Et pourtant, malgré tous ces kilomètres de marche, les manifestations nationales à Paris, les débats et les actions, Aminata Diouf ne veut pas rêver : « la régularisation globale n’est pas à l’ordre du jour ». C’est également l’avis de Houssen, un autre militant, qui anime chaque semaine, sur les ondes de Radio Galère, l’émission « La Voix des sans-papiers ». Il ne se fait pas trop d’illusions. Même si « Sarkozy a reçu une délégation des sans-papiers au ministère de l’Intérieur tandis que ses prédécesseurs ne l’avaient jamais fait », Houssen ne revendique la régularisation globale que pour la survie de la lutte. « Parce que si on se basait sur le cas par cas, la lutte serait finie. Alors autant rassembler le plus de monde, pour obtenir le maximum de régularisations. Soit, autant de vies améliorées ».
Aminata, un militantisme qui vient de loin
Aminata Diouf, Sénégalaise, 44 ans, femme de caractère, est une ancienne de Saint-Bernard, la fameuse église parisienne d’où ont été expulsés par la force les sans-papiers après plusieurs semaines d’occupation. N’ayant pas obtenu ses papiers à Paris, elle s’installe en 97 à Marseille, ville qu’elle avait découverte en venant visiter de la famille. La première fois, elle en a « les larmes aux yeux », tellement la cité lui rappelle un autre port, son Dakar natal. Elle est veuve d’un mari, un intellectuel qui, dit-elle, « m’a appris beaucoup de choses ». Officier de police, il était chargé de la sécurité de l’Etat. Aminata Diouf avait une vie familiale heureuse. Mais en 1990, deux ans après la mort de son mari, elle décide de débarquer en France. Elle confie ses six enfants à leur grand-mère, abandonne derrière elle son confort, mais surtout des prétendants et une belle-famille qui voulaient la pousser au remariage.
La petite fille de Galandou Diouf, député et personnage politique majeur dans l’histoire de l’indépendance du Sénégal, veut rester « autonome et indépendante », elle ne croit pas pouvoir retrouver un mari aussi ouvert. Elle qui se considérait comme citoyenne de cette patrie, choisit tout naturellement la France, « un pays libre, démocratique, le berceau des droits de l’homme, de l’égalité et de la fraternité ». Elle était « tellement fascinée » par ce pays. C’est normal, ce sont eux qui « ont mis ces idées dans nos têtes ». Mais la galère hexagonale lui remet vite les idées en place : « maintenant, je connais la réalité », reconnaît-elle. Ne trouvant pas de solution à Paris malgré la lutte de Saint-Bernard, elle réussit à Marseille à mettre enfin un terme à sept ans de galère. Mais pour autant, elle ne cesse pas le combat. « Ce que j’ai subi pendant ces sept ans de ma vie, je ne l’ai pas oublié. Quand vous venez de l’autre côté, il faut continuer à militer ». Coordinatrice des sans-papiers à Marseille, elle a choisi l’action syndicale. A son arrivée à la CGT, on lui dit « le syndicat, c’est là où on revendique ! » Communiste convaincue, parce que le communisme, c’est « le sens de l’humanité et du partage ». Cette camarade, partie à 30 ans à La Mecque grâce à son père, ne veut pas pour autant « jouer avec la religion ».

