Les raisons d’un boycott islamiste
Justice et Spiritualité (Aladl wal Ihsane), sans doute le mouvement islamiste le plus important du Maroc, est interdit d’activité politique et ne présente aucun candidat aux élections du 27 septembre. Entretien avec Fathallah ARSALAN, porte-parole officiel du mouvement.
La Médina : Dans quel champ peut-on inscrire votre action ? Est-ce dans le champ politique ou dans le champ religieux ?
Fathallah Arsalan : Cette dualité nous ramène à la problématique du dialogue avec l’Occident qui voit, selon sa vision laïque, dans notre comportement sur le terrain une image de parti politique et dans notre mission principale l’action politique ; c’est pourquoi on nous demande souvent notre position quant à la scène politique ou envers les élections.
Vous n’êtes donc pas un mouvement politique ?
Nous ne le sommes pas au sens occidental du terme, mais cela ne veut pas dire que nous n’accordons pas d’intérêt à la politique ou que nous ne somme pas intéressés par la participation au pouvoir. Bien au contraire, nous pensons que les élections sont nécessaires et que la participation au pouvoir est indispensable. Mais nous estimons que pour le moment, les conditions actuelles n’incitent pas à notre participation et nous travaillons, quand même, pour la satisfaction des conditions plus favorables. Pour mieux expliciter notre identité, nous sommes un mouvement sociétal qui s’articule autour de deux principes qui se complètent et qui font l’intitulé même de notre association : d’un coté, la Justice(Adl) comme mobile de notre action politique et, de l’autre, Al Ihsane, difficile à traduire, mais entendu comme renforcement du rapport avec Dieu et perfection de toute action envers soi même et envers les autres.
Notre projet est surtout de développer l’homme qui va faire face à l’ensemble des défis, car la réforme politique à elle seule n’est pas suffisante et le comportement des élus, par exemple, nous importe beaucoup. Contrairement aux autres partis qui ne tiennent pas compte de la moralité de leurs candidats, nous pensons qu’il faut donc éduquer l’homme sur les précepts de l’islam pour aspirer à la renaissance de la Oumma.
Quelles sont alors les conditions dont vous parlez ?
Les problèmes du Maroc sont si pesants, si urgents et appellent les bonnes volontés de toutes les composantes de la société, sans exclusion, à des réflexions à travers un dialogue sérieux et sans traits rouge.
Quel sera l’objet de ce dialogue ?
Une réforme constitutionnelle permettant d’élargir les prérogatives du gouvernement et de le responsabiliser davantage, à l’image des autres pays démocratiques, par exemple.
C’est ce que demandent d’autres formations non islamistes. Le problème pour vous est donc principalement politique?
Mais ce que nous demandons tient compte de la référence islamique. Nous voulons changer la manière de gouverner, en nous fondant sur le statut du Commandeur des croyants en islam. Ce changement est dans l’intérêt même du pouvoir.
Avez vous des propositions pratiques et immédiates ?
Il est urgent de nouer un pacte national entre les différents composantes de la société, et d’investir au Maroc les fonds détenus à l’étranger par les responsables, pour acquérir la confiance des investisseurs étrangers.
Mais vous demandez le rapatriement des fonds marocains à l’étranger… N’est-ce pas une fuite en avant ?
C’est difficile, mais le Maroc n’a pas d’autre choix.
Vous incitez au boycott des élections et en même temps vous dites que les conditions ne vous sont pas favorables. Pourquoi ne vous pas vous occuper de l’action religieuse et laisser tranquilles ceux qui veulent faire de la politique ?
Les populations ne nous ont pas attendus pour boycotter les élections, elles l’ont déjà fait. Nous sommes en principe pour la participation politique et nous voulons exercer le pouvoir. La non participation est exclue de notre projet mais pour le moment, nous disons que les élections ne sont d’aucune utilité en l’absence des réformes des institutions étatiques. Le gouvernement ne fait qu’exécuter les directives royales et tous les partis concourent à l’exécution des seules politiques du pouvoir.
Les idées de votre mouvement sont surtout celles de votre leader Abdessalam Yassine ?
Le professeur Yassine est un penseur à l’échelle du monde musulman, il a une œuvre d’une trentaine de livres, il a élaboré une théorie complète concernant le système politique, l’économie, la question de la femme, etc. Il n’écrit pas seulement pour notre mouvement, mais pour tout le monde, et nous nous servons de ses idées pour les développer dans les différents champs où interviennent nos cellules. Nous comptons aussi une vingtaine de livres écrits par d’autres membres de notre organisation.

