La transparence à défaut d’une participation
Grands oubliés des législatives, les Marocains de France suivent à distance avec le sentiment d’être amputés d’une portion de citoyenneté. Pour autant, le débat pré électoral est présent dans les chaumières de France et de Navarre. Immersion au sein des associations d’immigrés marocains en France.
Près de quatorze millions de Marocains se rendront, théoriquement, aux urnes le 27 septembre 2002 pour accomplir leur devoir de citoyens en élisant les membres de la Chambres des représentants. 37,500 bureaux de vote attendent ceux qui vont élire les candidats des vingt-six partis politiques en lice. L’événement qualifié d »‘historique » et même de » Jour du Destin » (dixit le premier ministre Abderrahmane Youssoufi) devrait marquer la fin d’une ère, selon le vœu formel des autorités marocaines. Celles-ci promettent un scrutin sincère et transparent sur la foi de la volonté affirmée du roi Mohammed VI lui-même et d’une batterie de circulaires émises par le ministre de l’Intérieur M. Driss Jettou. L’objectif, au delà du suffrage, étant d’instaurer un climat de confiance sérieusement entamée par des décennies de fraudes et d’ »ingénierie électorale ».
Cette volonté de changement pourrait pâtir de la mobilisation poussive des électeurs et la fébrilité des Etats-majors politiques stimulée quelque peu par l’appel au boycott lancé par certaines formations politiques et religieuses.
Deux millions de Marocains résidant à l’étranger ne pourront prendre part à cette consultation qui constitue par ailleurs le test majeur de la transition démocratique marocaine conduite par le gouvernement d’alternance.
Quel regard portent les Marocains de France sur les législatives du 27 septembre et sur l’avenir de la démocratie au Maroc ? Deux responsables associatifs, Ali El BAZ et Mohamed Lachhab, respectivement président de l’Association des Travailleurs Maghrébins en France (ex-Association des Travailleurs Marocains en France –ATMF) et administrateur de l’Association des Marocain en France (AMF) avancent un début d’analyse. Pour Ali El Baz, les avancées sont indéniables, mais il reste à ce que le vent de liberté qui a inspiré la récente ouverture s’inscrive dans la durée pour que la tendance devienne irréversible. Pour le reste, – c’est indéniable : la liberté d’expression a connu un saut qualitatif ces dix dernières années estime le responsable.
Pour sa part, Mohamed Lachhab adhère mais tient à nuancer. » Quelques améliorations dans le domaine de la liberté d’expression ne devraient pas faire oublier quelques interdictions signifiées à des journaux ainsi que l’interdiction de quelques rassemblements « .
Les deux hommes s’accordent néanmoins à affirmer qu’une démocratie durable suppose la séparation des pouvoirs. » C’est en ce sens que la Constitution devrait être révisée » estime El BAZ. » Tant qu’il n’ y a pas de séparation des pouvoirs entre le législatif l’exécutif et le judiciaire, il serait difficile de délimiter le champ d’action du gouvernement et la sphère d’influence du roi « . »Le problème au Maroc est un problème constitutionnel, renchérit Lachhab. Il fadrait changer radicalement la Constitution pour permettre à chacun de s’exprimer politiquement ».
Quant aux élections législatives, le risque est fort que l’on assiste à la « rediffusion » d’épisodes connus, estiment les deux responsables. » A chaque élection, s’insurge Lachhab, on nous assure qu’il n’y aura pas de fraude, et à chaque fois c’est le contraire qui se produit. Chaque fois, les vainqueurs sont ceux qui ont pour eux le Makhzen et l’argent »
Néanmoins, le Makhzen n’est pas le seul mis en cause, les hommes politiques et les partis ont leur part de responsabilité affirme El Baz. » La bataille électorale se résume à une guerre de leadership au sein des Etats-majors. On ne se bat plus pour la démocratie pour plutôt pour être tête de liste poursuit le responsable de l’AMF. Dès lors qu’ils ne sont pas choisi tête de liste, les politiques vont voir ailleurs. Les programmes s’effacent au profit des personnes. Ce n’est ni démocratique ni déontologique «
Hormis les querelles de tranchée qu’elles suscitent, élections législatives se déroulent sur fond de poursuites judiciaires et d’arrestations dans les rangs à l’encontre des activistes islamistes radicaux. La mouvance islamiste quadrille en particulier le tissu urbain et prône le boycott du suffrage comme principal mot d’ordre. Traversée par divers courants de pensée, la mouvance est quelque peu gênée dans son expression par des contraintes juridiques qui l’acculent à l’action sociale et parfois à la contestation clandestine. C’est le cas de l’Association al ADL Wal IHSAN, du Cheikh Abdessalam YASSIN. Certaines formations laïques appellent ouvertement à faire barrage à » l’obscurantisme médiéval » quitte à exclure des formations islamistes dites modérées comme le Parti de la Justice et du Développement (PJD) de la course électorale. Ali El BAZ s’oppose à cette option : »je souhaite que toutes les forces, qu’elles soient, islamiques ou laïques, du moment qu’elles respectent le principe de l’alternance les principes démocratiques, puissent participer aux élections. Et moi, en tant que démocrate laïc, je m’inclinerai devant le choix du peuple s’il vient à voter pour un parti dont je ne partage pas le point de vue. Je respecterai le verdict des urnes « .
Plus résrevé sur la question Lachhab estime que » les islamistes ont le droit à une expression politique » A la condition de ne pas oublier que » dans une démocratie, il doit y avoir des limites » Pour l’heure, ce sont surtout les émigrés qui sont en droit de se sentir marginalisés selon Lachhab. « Les gens ici regrettent de ne pouvoir voter, à l’instar des Algériens par exemple. Ils ont le sentiment d’être marginalisés ». L’AMF réclame donc le droit de vote aux émigrés marocains, quoique cette revendication ne fût jamais une priorité au sein de l’association, reconnaît Lachhab.
A l’opposé, la question taraude grandement les responsables de la ATMF: « Autant sur le principe, dit M. EL BAZ, on comprend mal que deux à trois millions de marocains qui vivent à l’étranger soient exclus d’un droit de citoyenneté, autant il faut avouer que la population émigrée ressent et exprime un total désintérêt envers la politique. La désaffection est d’autant plus profonde que lors du scrutin de 1984, deux représentants de l’immigration marocaine ont accédé au Parlement. Or, sitôt élus, les deux hommes (El Ghazi pour la région Nord et Akka pour la région sud) se sont empressés de tourner le dos aux émigrés qui les ont fait élire. Le sentiment d’être abandonné creuse davantage la crise de représentativité au sein des Marocains de France. Néanmoins, le besoin de s’exprimer sur les questions majeures demeure bien réelle. Ce que je veux, conclut M El Baz, ce n’est pas qu’on nous dise « m’rehba bikoum », (bienvenue), pendant les vacances, mais qu’on s’ intéresse à nos intérêts pendant les onze mois de l’année. Nous revendiquons la citoyenneté d »‘ici » et de « là-bas ». Mais si le désintérêt des autorités à notre égard persiste, nous risquons malheureusement de ne penser qu »‘ici ». S’ils « se fichent » de nos intérêts, alors on se fichera de leur politique! « L’avertissement vaut pour celui qui veut l’entendre.

