Barcelo, Miquel Ange moderne de la cathédrale de Majorque
Héritier de Picasso et Miro, le peintre espagnol Miquel Barcelo a achevé son ultime défi en mariant la poésie de son art brut aux ogives de la cathédrale de Palma de Majorque, l’un des joyaux du patrimoine gothique méditerranéen.
« »Chaque jour j’improvisais, j’inventais » », a expliqué ce peintre catalan de renommée mondiale, en présentant mercredi dans son île natale des Baléares sa Sixtine moderne, fruit de sept ans de labeur, qui sera inaugurée vendredi par les souverains espagnols.
« »Tableau vivant d’une forme de vie » », l’oeuvre surprend et fascine.
Comme toute la création de ce peintre de 50 ans qui partage sa vie entre Majorque, Paris et le Mali. Une palette dense et épaisse, qui s’alimente aux matériaux bruts les plus divers: pigments, boue, cendre, ossements.
Barcelo a recouvert la quasi-totalité des murs de la chapelle gothique de Majorque (14e siècle après J.C) de trois cent mètres carrés d’argile cuite, bosselée, craquelée comme le désert de Judée.
Aux flancs de cette grotte rupestre montant à l’assaut des arcs gothiques, il a peint des motifs graciles aux couleurs tendres qui récréent l’iconographie évangélique de la multiplication des pains et des poissons.
Autour d’un sobre christ ressuscité, pâle, sans croix, aux chevilles et poignets sanguinolants, poissons, pains, palmiers, roses, oignons flottent en lévitation.
« »C’est mon univers, ma terre, ma mer, je les connais depuis toujours.
Tous les poissons, tous les fruits sont inscrits dans ma mémoire. Ils appartiennent à mon paysage culturel depuis l’enfance » », commente timidement Barcelo en catalan devant des journalistes venus du monde entier.
Cinq vitraux gris plomb de douze mètres de haut, peints du bout des doigts, aborbent le bleu éclatant du ciel majorquin et complètent la chapelle.
Pour cette commande de l’évêché de Majorque, Barcelo, lui-même athée, se félicite d’avoir joui d’une « »liberté créative totale, sans entraves » ».
« »Je me suis fabriqué les outils dont j’avais besoin, j’ai eu recours à des ustensiles industriels, de cuisine, un appareil à hâcher la viande, d’autres dont je ne savais même pas à quoi ils servent » », se souvient ce peintre amoureux de Cézanne et du Tintoret.
« »Le tête de ce poisson, c’est le relief à l’envers d’un coup de poing.
C’était la manière de donner vie et espace à l’oeuvre » », explique-t-il.
Vous y trouverez aussi des marques de doigts, de mains de mes enfants, qui, une fois passées au four, ont rétréci » ».
Et, justifiant le choix de ses matériaux: « »la boue est l’élément à partir duquel Adam fut créé. C’est dans l’argile que fut découverte la première empreinte de l’homme » »…
La chapelle de Miquel Barcelo passera-t-elle à l’éternité? En la bénissant, « »l’Eglise exprime à tous son goût pour l’art contemporain de cet imporant artiste, qui en plus d’être grand est mayorquin » », glisse tout fièrement l’évêque de Majorque, Mgr Jésus Murgui.
« »On peut la critiquer, débattre, ne pas adhérer, mais s’il doit y avoir des jugements, je demande qu’ils soient sérieux » », admet Mercé Gambus, responsable de la Fondation Art qui a coordonné le projet.
« »Ce n’est pas une oeuvre folle » », ajoute-t-elle, convaincue que le public va découvrir une création « »d’une immense portée qui écrit une nouvelle page, pas seulement dans l’histoire de Barcelo » ».
Miquel Barcelo, lui, reste prudemment modeste: « »C’est une oeuvre toute neuve, il faudra voir comment elle vit » »…