Quand la lecture du coran tourne bien !
Que faire quand on veut commémorer un deuil, remercier Dieu d’avoir tari une source de mal, louer le Tout-Puissant pour ses abondantes gratifications ?
La grande majorité des Marocains répondra : organiser une sadaqa. En tant qu’acte, la sadaqa consiste à donner une aumône à un indigent mais, en tant qu’événement c’est avant tout une cérémonie dont les protagonistes incontestés sont les fuqahas, ces experts confirmés en invocations et incantations religieuses. Et comme il m’a été donné d’assister, il y a de cela une semaine, à ce rituel inscrit dans la vie de tous les jours, qu’il me soit permis de vous en esquisser quelques unes de ses scènes marquantes… Les fuqahas étaient en pleine récitation coranique quand, par mégarde, un membre de la famille organisatrice de la sadaqa, dépose la fameuse sinia de thé devant un orfèvre en la matière. L’indignation s’est tout de suite faite sentir dans la cadence, puis dans l’intonation des incantations coraniques, étant donné le non-respect de la règle de mise : le cérémonial du thé doit être confié aux soins d’un membre du groupuscule des fuqahas car ceux-ci ne sont pas là exclusivement pour la lecture du coran mais également pour arranger toutes les dispositions de la cérémonie. L’intervention d’un initié a rétabli la règle enfreinte. Après s’être gavé de thé et de gâteaux presque tous fourrés au miel, le chef du groupuscule, en l’occurrence un tailleur renommé, s’évertua, pendant de longs moments, à faire régner une ambiance apocalyptique, en décrivant d’atroces scènes de supplice. A intervalles réguliers, l’exégète gobait sa dose de gâteaux et enchaînait sur une parade d’images encore plus effroyables. Rien au monde ne pouvait évincer ce montage de l’effroi, hormis les quelques premières senteurs de poulet farci qui, comme par enchantement, enlevèrent de la bouche du fqih ses admonestations.
La baraka des fuqahas Ayant achevé la scène boulimique, l’apostrophe « ftah a lafqih » (ouvre, ô fqih !), signale le passage vers un autre rite, non moins boulimique d’ailleurs. Rite selon lequel les oraisons bénies des fuqaha ne sont méritées que moyennant des sommes d’argent présentées en tribut au chef. L’invité illustre de cette veillée, un baron de la drogue connu dans toute la ville, a eu droit à la plus longue séance d’oraisons en tant que principal contributeur. Quant aux maigres implorations, elles étaient réservées à ceux qui s’entêtaient, advienne que pourra, à mériter la baraka des fuqahas contre de modiques sommes. Alors que parmi les assistants, on pouvait facilement repérer des dévots personnages marmonnant leur refus de ce jeu de don contre don. Selon toute vraisemblance, ça tourne bien la lecture du Coran, sauf que cette fois-ci, ça a tourné au vinaigre quand un des fuqahas a refusé sa part des tributs, jugeant que la répartition était partiale.