Législatives : un scrutin fidèle
Une abstention importante, de l’ordre de 50 %, un scrutin relativement honnête, marqué par la disparition de quelques caciques de la vie politique ; une dispersion des voix et une montée des partis islamistes : tel est le résultat des législatives marocaines du 27 septembre qui, et c’est une nouveauté, ne sont pas loin de réfléter la réalité politique du pays.
L’importance des élections législatives, en ce début de règne du roi Mohammed VI, n’est plus à démontrer. Elles marqueront, sans aucun doute, un tournant décisif dans l’histoire de la jeune démocratie marocaine. Celle-ci en sort plutôt fortifiée. Les élections parlementaires en ce vendredi 27 septembre 2002, malgré le fort taux d’abstention enregistré, se sont déroulées dans le calme et dans une ambiance « bon enfant », excepté les inévitables incidents, comme à Tiflet, ou quelques échauffourées sans gravité, inhérentes à ce genre de scrutin. Les leçons à retenir de cette consultation sont les suivantes :
1. C’est la première fois, au Maroc, que les élections se déroulent dans les délais prescrits par la loi.
2. Elles se sont déroulées sous l’égide d’un gouvernement politique, et non technocrate comme précédemment, en l’occurrence celui du socialiste Abderrahmane Youssoufi.
3. La neutralité de l’Administration territoriale, que dirige le tout puissant Ministère de l’Intérieur, est, de l’avis de la majorité des leaders politiques, effective. Les agents de cette autorité impliqués, volontairement ou non, dans les campagnes électorales, seront sanctionnés.
4. Les prestations radiophoniques ou télévisées des candidats ont été ternes et de qualité médiocre.
5. Le critère de l’argent, d’où qu’il vienne, a été déterminant dans le choix des têtes de liste, dans la promotion des candidats et dans la réussite des heureux élus.
6. Le fort taux d’abstention, avoisinant les 50%, est révélateur de l’état d’esprit d’une population désabusée. La complexité de la consultation (bulletin unique avec 26 icônes et deux listes, nationale et locale) a joué dans la désaffection des bureaux de vote comme argument dissuasif. A cela, il faudrait ajouter l’infranchissable barre des 20 ans révolus imposée à une population densément jeune.
7. Les partis ayant obtenu moins de 3% de suffrages ne pourront prétendre à une quelconque représentativité parlementaire, voire à une existence politique.
8. L’entrée substantielle des femmes au Parlement avec 34 sièges est une première dans la région.
Si on prend en considération ces éléments réunis, sur un fond de fragmentation du champ politique national avec 26 partis en lice sur une quarantaine de formations déclarées, le résultat final est plutôt rassurant. Nonobstant les petites bavures de circonstances, l’Administration territoriale a campé sur des positions de neutralité effective. Des têtes, et pas des moindres, sont tombées, comme c’est le cas pour Ismaïl Alaoui (PPS), Aïssa El-Ouardighi (PSD), Mahmoud Archane (MDS), Mohammed Ziane (PL), Abderrahim Lahjouji (FFC) ou Ali Belhaj (ADL). Le verdict des urnes a été également fatal pour des présidents de groupe ou de commission parlementaires, des vice-présidents de session et des ministres en exercice.
Les résultats annoncés, quarante-huit heures après le scrutin, par l’élégant Driss Jettou, alors ministre de l’Intérieur et maintenant devenu permier ministre, confirment grosso modo le sondage effectué par l’organisme français CSA-TMO pour le compte du journal arabophone Al-Ahdat Al-Maghribiya. L’USFP vient en tête avec 50 sièges (dont 5 sièges féminins), suivi de l’Istiqlal avec 48 deputés, du PJD islamiste avec 42, du RNI avec 41, puis des gros calibres de la mouvance populaire : 27 pour le MP et 18 pour le MNP. En revanche, la mouvance de gauche n’arrive guère à percer : 12 sièges pour le FFD, 11 pour l’ancêtre PPS, 6 pour le PSD et pour le GSU ou gauche réunifiée. A l’évidence, les petits partis, nés de la fièvre électorale ou réactivée par elle, réalisent des scores médiocres : 4 sièges pou l’ADL, 3 au FFC, 2 au PED, enfin un seul pour le CNI, formation du syndicaliste El-Amaoui.
Deux combinaisons possibles
La grande nouveauté du scrutin, outre la complexité du mode de scrutin, est sans conteste la montée irrésistible des islamistes modérés du PJD. Celui-ci aurait bénéficié du vote des partisans et sympathisants de l’Islam « dur » de Al-Adl wa Al-Ihssan et d’Al-Badil Al-Hadari. Dorénavant, le PJD campe en troisième position, derrière l’Istiqlal et l’USFP. Le grand perdant de cette consultation est l’Union Constitutionnelle, droite libérale, ainsi que la gauche, toutes tendances confondues, du fait de l’effritement de la classe politique et de la défiance des classes moyennes instruites. La grande question est maintenant celle de la composition du futur gouvernement. L’Istiqlal n’a jamais accepté le fait que son refus de la primature en 1994 devrait entraîner l’entrée en lice des socialistes en 1998 et la mise en œuvre du pacte ‘solennel’ entre le souverain défunt et l’ancien premier ministre.
Pour l’heure, deux combinaisons majeures restent possibles : la première combinaison serait la copie, intégrale ou modifiée, de celle d’aujourd’hui, c’est-à-dire une nouvelle coalition orchestrée par l’USFP. La seconde, plus téméraire, verrait l’entrée du PJD, coalisé avec l’Istiqlal et conforté par le RNI et le mouvement populaire. Celui-ci, en prévision de coalitions futures, vient de présenter un front uni, MP et MNP à même de jouer le rôle de médiation entre forces antagonistes ou rivales. Dans le même contexte, des rapprochements sont en train de s’opérer : PPS, PSD et Al-AHD d’un côté, ainsi que USFP et RNI de l’autre côté. Par ailleurs, les grands partis s’activent à acheminer vers eux les députés isolés des petits partis. L’échiquier politique parlementaire s’en trouvera ainsi consolidé.
Tout bien considéré, l’électorat marocain est traversé par deux attitudes, et donc deux mentalités : la première attitude met en doute le processus électoral dans son édition nationale et la capacité des politiques à résoudre les problèmes chroniques de toute une société : chômage, santé, éducation-enseignement, sécurité, gabegie et corruption, compétition des entreprises, etc. La seconde attitude, plus volontariste, mise sur l’éclosion d’une conscience nationale, civique et entreprenariale, et partant sur l’impulsion d’une nouvelle dynamique à même de redonner l’espoir. Les tenants en sont les Ongs, les islamistes, les petites formations issues de la dispersion à gauche, les universitaires et les entrepreneurs indépendants. Il n’en demeure pas moins que la composition du futur gouvernement, au sujet de laquelle les tractations ont commencé dès l’annonce des résultats finaux, aura un impact certain sur l’évolution civique et démocratique que connaît le pays.

