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Les clefs pour comprendre…

La Côte d’Ivoire connaît depuis le 19 septembre 2002 un embrasement qui aura pris de cours aussi bien les observateurs internationaux que maints Etats de la planète. Cinq mois après les faits, force est de constater qu’une solution durable a le plus grand mal à être trouvée pour la situation de ce pays.

Retour sur les événements politiques ivoiriens de cette dernière décennie.
Du 15 au 23 janvier, la diplomatie française a réuni, à Marcoussis, dans l’Essonne, les protagonistes de la « crise de Côte d’Ivoire ». Ce sont : un ancien chef d’Etat déchu et exilé (M. Bédié, 69 ans), un chef d’Etat contesté (M. Gbagbo, 58 ans), un ancien Premier Ministre à la nationalité mise en doute par le gouvernement ivoirien (M, Ouattara, 51 ans), un ancien dirigeant syndical devenu chef de rébellion armée (M. Soro, 31ans), deux militaires chefs de factions armées dont un Sergent, un Commandant et des chefs de petits partis politiques. Ces hommes ont en commun la volonté de sortir leur pays de plusieurs années de crise. Comment en sont-ils arrivés là ?

Il était une fois …

Côte d’Ivoire, l’été. Un pays riche et pacifique. Politiquement stable, économiquement puissant, socialement actif dans l’Afrique Occidentale Française. Pays cosmopolite, terre d’accueil, la Côte d’Ivoire était un pays multiconfessionnel où vivaient en harmonie : 45% de musulmans, 20% de chrétiens et des adeptes des religions traditionnelles africaines. Un pays sans problème. Voulu comme un « havre de paix » par M. Félix Houphouët Boigny qui gouverna ces 322000 km2 où « tout ce qui se plante pousse ». Premier exportateur mondial de cacao et second exportateur de café. Dans le désert d’instabilité qu’était devenue l’Afrique Occidentale, la Côte d’Ivoire passait pour un « oasis de paix » depuis son indépendance le 7 août 1960. Une stabilité politique et une prospérité économiques qui y ont attiré les ressortissants de tous les pays voisins. Ils étaient guinéens ou libériens venus de l’Ouest. Ils étaient ghanéens, venus de l’Est, burkinabés ou maliens venus du Nord. Ils étaient aussi nigériens, nigérians, camerounais, béninois… ils venaient de toute l’Afrique ! Il y avait même des Français et des Libanais, chiites ou chrétiens. Bref, l’Ivoirien tirait sa fierté de ce cosmopolitisme encouragé par un gouvernement en excellents rapports avec la France, ancien colonisateur. On avait un exemple de « décolonisation réussie ».
Houphouët Boigny, qui a conduit la lutte à l’indépendance à la tête du PDCI-RDA (Partie Démocratique de Côte d’Ivoire, section du Rassemblement Démocratique Africain), est aussi le roi du peuple Akan, un des trente groupes ethniques ivoiriens. Il gouvernait par le dialogue et la palabre, non sans un fond de despotisme fondé sur son charisme personnel et propre aux « pères de la nation ». Les manifestations de rue étaient inexistantes. Toute opposition était étouffée dans l’œuf du fait de l’intervention des chefs traditionnels et des chefs de communautés religieuses encore très influents dans un pays à 80% rural.
Soutenu par les capitaux français, Houphouët Boigny a tenu son monde à la carotte de l’économie, entouré d’une garde rapprochée essentiellement issue du groupe Akan. Avec 40% de la population active d’origine étrangère, présente dans tous les secteurs de l’économie florissante, le président ivoirien a lancé le mouvement appelé « ivoirisation des cadres » dans le but de favoriser l’accès des cadres ivoiriens à des postes de direction. L’accession à la nationalité ivoirienne n’était alors qu’une formalité administrative. En 1990, après trente années de pouvoir sans partage, Houphouët Boigny s’est décidé à nommer un Premier Ministre. Ce fut M. Alassane Ouattara, ancien directeur-adjoint du Fonds Monétaire International, jusqu’alors inconnu sur la scène politique ivoirienne.
Félix Houphouët était chrétien. Alassane Ouattara est musulman. Il est originaire du Nord du pays, à majorité musulmane. Sa nomination coupe l’herbe sous le pied de l’opposition naissante qui pronostiquait Henri Konan Bédié à ce poste de Premier ministre. Car M. Bédié est, comme M. Houphouët Boigny, Akan. Ambassadeur à 26 ans, ministre de l’Economie et des Finances à 32 ans, il est présenté comme le « dauphin » de M. Houphouët Boigny. Seulement, en 1990, il était impliqué dans des scandales financiers.
L’opposition ivoirienne s’organise autour du thème du partage du pouvoir avec pour mot d’ordre : « le multipartisme ». Elle est menée par M. Laurent Gbagbo, fondateur du Front Populaire Ivoirien (FPI), mouvement alors illégal et clandestin en Côte d’Ivoire. Gbagbo est originaire de l’ethnie Bété, rivale traditionnelle de l’ethnie Baoulé au pouvoir. Son parti fédère tous les sans-voix que la politique de « parti unique » avait délaissés. Le FPI finira par avoir gain de cause. Le multipartisme sera instauré. Pour la première fois dans l’histoire du pays, M. Gbagbo défiera M. Houphouët Boigny aux élections présidentielles de 1990 en recueillant 19% des suffrages. Tout allait plutôt bien. L’économie tanguait au gré de la bourse où le café et le cacao étaient côtés. Le paysage politique s’était enrichi de nouveaux visages capables d’organiser des manifestations de rue. L’expression politique longtemps muselée s’était libérée et des journalistes souvent virulents pouvaient s’exprimer librement dans des quotidiens capables de concurrencer « Fraternité Matin », le quotidien gouvernemental. C’était bien l’été. Avec du recul, cette époque apparaît comme la meilleure des saisons que la Côte d’Ivoire ait connue jusqu’à ce jour.
Le début de la catastrophe

Le 7 décembre 1993, jour de commémoration de l’indépendance, le président Houphouët Boigny mourut. Soutenu par un parlement acquis à sa cause, il avait pris la précaution de changer le texte de la Constitution ivoirienne. Désormais, en cas de vacance de la présidence de la République, l’intérim n’était plus assuré par le Premier ministre : le chef du Parlement devenait chef de l’Etat. A la mort de Houphouët Boigny, le chef du parlement est M. Bédié. M. Ouattara est Premier Ministre. Les rivalités éclatent entre les deux hommes au sein du PDCI-RDA. M. Ouattara quitte le parti et fonde le Rassemblement de Démocrates et Républicains (RDR). Il rejoint le FPI dans l’opposition.
En 1995, M Bédié organise des élections présidentielles, largement boycottées par l’opposition. Il est élu sans difficultés. Mais l’opposition s’est renforcée. Elle occupe la rue et paralyse toute décision. La légendaire réputation de stabilité ivoirienne est remise en question. Face à ces incertitudes d’ordre social, les investisseurs étrangers ne font pas de sentiments. Ils se retiennent, puis finissent par « fermer les robinets ». La France est sollicitée. Elle ne peut intervenir valablement, enchaînée par « la cohabitation ». L’économie ivoirienne finit par se mettre à genoux. M. Bédié engage alors une vague de répression policière jamais connue auparavant. C’est une authentique chasse aux sorcières dans une Côte d’Ivoire devenue subitement xénophobe. Des rafles régulières ont lieu dans les quartiers populaires. Les cartes d’identité sont retirées à des citoyens au vu de leur nom, de leur prénom. Ils sont originaires du Nord. On les désigne sous le nom générique de « dioula ». Ils sont reconnaissables à leurs patronymes et sont généralement de religion musulmane.

Le dioula, musulman
au Pays de l’Ivoirité

Les dioula de Côte d’Ivoire ont un passé historique commun avec les populations musulmanes du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée, très présentes en Côte d’Ivoire. Ils sont originaires de l’ex-Empire du Mali. Avec la colonisation et la création des Etats modernes, ils se retrouveront répartis dans différents pays. Mais leur religion traditionnelle reste imprégnée de soufisme.
Avant les années 80, les dioula étaient peu présents dans la vie politique ivoirienne. Ayant résisté à la colonisation sur la base de leurs convictions religieuses, ils ont boycotté l’enseignement scolaire même après l’indépendance. De ce fait, ils n’avaient pas accès aux instances de direction de l’administration réservée aux élites universitaires. Cependant, les dioula ont prospéré dans le secteur du petit commerce au point que leur langue est devenue la langue parlée sur tous les marchés populaires. Le secteur du transport est aussi leur chasse gardée.
Vingt ans après les indépendances, leur présence démographique et leur poids économique comparés à leur absence politique n’ont pas manqué de susciter des frustrations. Au moment où, après la construction d’une cathédrale au Plateau (quartier des affaires d’Abidjan), le pays se dotait d’une basilique, réplique de Notre Dame de Rome, des voix se sont élevées dans les mosquées pour réclamer plus d’égalité dans le traitement de la question religieuse. « Ce n’est pas parce que nous n’avons jamais rien dit que nous n’avons rien à dire » avait déclaré M. Boikary Fofana, prédicateur et porteparole du Conseil Supérieur des Imams (COSIM).
En 1960, quand il fallut choisir entre l’enseignement de l’arabe, de l’allemand ou de l’espagnol, le président Houphouët Boigny avait déclaré : « Entre la langue des riches et la langue des pauvres, je choisis la langue des riches ». L’arabe fut ainsi écarté. C’est ainsi que la communauté musulmane de Côte d’Ivoire s’est retrouvée isolée du monde arabo-islamique. Les projets d’écoles islamiques modernes se heurtaient toujours à des dispositions administratives. Le pèlerinage à la Mecque, le hadj, était entouré d’obstacles car le pays n’avait pas d’ambassade en Arabie Saoudite. Ce traitement réservé à l’islam en Côte d’Ivoire était encore d’actualité lorsque M. Ouattara fut nommé premier Ministre. Ce choix fut donc interprété dans les mosquées comme une promotion, le signe d’une reconnaissance et d’une bienveillance envers une communauté et sa religion.
Avec M. Bédié, le discours national-socialiste fut orienté contre les musulmans et leurs symboles. Le clergé catholique se prononça sur la question en exprimant son « vœu que la Côte d’Ivoire ne soit pas gouvernée par un musulman ». Ce qui fera dire à M. Boikary Fofana que « ce qui se passe est une guerre ethnico-religieuse axée contre les musulmans de Côte d’Ivoire et orchestrée par l’Eglise catholique ».
Le concept de l' »ivoirité » infiltre le discours politique, puis s’installe dans le discours médiatique. L' »ivoirité » est néanmoins à distinguer de « l’ivoirisation des cadres », lancée par Houphouët Boigny. Autant « l’ivoirisation » avait encouragé l’accès à la nationalité ivoirienne, autant « l’ivoirité » préconisera des distinctions entre les ivoiriens selon qu’ils seront de père et/ou de mère ivoiriens. C’est un schéma de citoyenneté proche de « la préférence nationale » défendue par le Front National de M. Jean-Marie Le Pen.
Comme dans l’Allemagne des années 30 ou la France des années 70, les idées nationalistes enrobées de socialisme ont germé sur le sol ivoirien. C’était l’automne. Le triste automne ivoirien.
Par un coup d’Etat spontané, l’armée prit le pouvoir le 24 décembre 1999. L’événement fut qualifié de « cadeau de Noël » à la veille du nouveau millénaire. Pour la première fois dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, des hommes en uniformes apparurent à la tête des plus hautes instances de l’Etat. M. Bédié négocia son exil à Paris. Les militaires promettaient des élections libres et démocratiques. L’on pouvait donc espérer la fin de l’automne. On pouvait rêver de printemps. Un rêve qui sera cependant de courte durée.

La responsabilité de
la classe politique

Le nouvel homme fort est le Général Robert Gueï. Il est mis devant le fait accompli par les soldats qui prennent le pouvoir. Originaire de l’Ouest du pays, M. Gueï est réputé être un bon militaire et un homme honnête. Pour avoir désobéi au président Bédié qui lui demandait de réprimer une manifestation d’étudiants, le Général avait été éloigné de ses hommes. Son retour par un coup de force lui conférera une grande popularité.
M. Gueï prendra ses responsabilités en déclarant son peu d’intérêt pour le pouvoir. « Je suis venu balayer la maison ivoirienne » dira-t-il. Il annoncera des élections démocratiques et entreprendra une reforme de la Constitution du pays. Le code électoral qu’il élaborera écartera M. Alassane Ouattara de la course à la présidence de la République, le motif évoqué étant sa « nationalité douteuse ». A l’annonce de cette décision, la ville de Kong, dont M Ouattara est originaire, expulsera le sous-préfet de la localité et décrétera la sécession. Les chefs traditionnels du Nord refuseront de recevoir les membres du Comité de médiation et de réconciliation nationale. La colère s’exprimera dans les mosquées aussi. Mais la décision sera maintenue. Le Général Gueï, en dépit de sa déclaration initiale, se portera candidat. Le RDR protestera. Les manifestations qui s’ensuivront seront réprimées sans ménagement. Des mosquées seront attaquées. Des imams seront interpellés. Des manifestantes en hijab seront déshabillées.
Les élections auront néanmoins lieu. Plus de 80% des inscrits n’iront pas voter. Dans le Nord, fief du RDR, les urnes sont vides. Le dépouillement se déroulera dans la confusion la plus totale puisque M. Gbagbo et le Général Gueï annonceront chacun sa propre victoire. La direction du FPI appellera ses militants à occuper la rue. Le RDR fera de même. La gendarmerie, proche de M. Gbagbo interviendra. Les chiffres officiels annonceront plus de 200 morts, dont un charnier de 56 corps qui sera découvert les jours suivants. Les victimes seront, pour la plupart, des militants du RDR. M Gbagbo sera investi chef de l’Etat. Le jour de son investiture, il commentera la tuerie : « ce sont des morts inutiles ». Le Général et ses hommes se retireront dans leur fief à l’Ouest.
« Le balayeur balayé », titra un quotidien national. L’atmosphère n’était pas encore au calme. Le RDR ne reconnaissait pas le nouveau président. Il lui reprochait d’être « mal élu » et réclamait de nouvelles élections. Le Nord du pays campait sur son hostilité. L’Ouest était sous le contrôle du Général Gueï et de ses hommes. Certains membres du FPI, d’obédience socialiste, reprochaient à leur parti de s’être « compromis dans l’ivoirité ».
Le nouveau chef de l’Etat annoncera un calendrier électoral. Les législatives seront boycottées par le RDR. Le FPI emportera largement le parlement. Puis il organisera les municipales auxquelles le RDR participera finalement et qu’il remportera largement, y compris dans les fiefs du FPI au pouvoir. Le Président Gbagbo se lancera dans une campagne de réhabilitation auprès des institutions internationales et tendra la main à l’opposition en lançant une campagne de réconciliation nationale. Un gouvernement d’union nationale verra le jour avec des membres du RDR. Un semblant de calme s’était installé. La confiance des bailleurs semblait de retour. L’automne semblait prendre fin. Jusqu’au 19 septembre…
Quand vint l’hiver

Lorsque, dans la nuit du 19 septembre 2002, les coups de feu retentissent aux alentours des camps militaires d’Abidjan, le président Gbagbo se trouve en visite officielle à Rome. Il n’aura pas le temps de voir le Pape. La nouvelle de la tentative de « coup d’état » se répand en même temps que celle de l’assassinat du Général Gueï et de la disparition du ministre de l’intérieur Emile Boga Doudou, dont on apprendra l’assassinat par la suite. Les rebelles ne sont pas désignés. Leurs revendications ne sont pas connues. L’attaque est repoussée par les Forces Armées Nationale de Côte d’Ivoire (FANCI). Les assaillants se retirent dans la moitié Nord. De Bouaké, seconde ville du pays située au Centre, ils se révéleront à la face de la Côte d’Ivoire et du monde. On compris alors que la Côte d’Ivoire était entrée en hiver.
Gbagbo accuse le Burkina Faso, pays frontalier du Nord qui accueille officiellement de nombreux opposants au régime ivoirien. Les Forces de l’Ordre font des descentes dans les quartiers populaires d’Abidjan (au Sud). Les morts se comptent officiellement par dizaines. L’Imam Idriss Koudouss Koné, président du Conseil National Islamique (CNI) déclare dans une conférence de presse : « Nous regrettons qu’à un moment aussi douloureux de la vie de notre nation, la communauté musulmane continue d’être frappée d’ostracisme et de suspicion ethno-religieuse par les forces de l’ordre… On continue de perquisitionner nos mosquées, on continue d’arrêter nos cadres, on continue d’enlever dans les bas quartiers des musulmans pour des destinations parfois inconnues, on continue de diaboliser les musulmans et leurs dignitaires (…), on profère des accusations faciles dans les organes de press instrumentalisés, qui tendent à faire croire que les événements actuels sont le fait de la communauté musulmane… Des témoignages d’imams et de fidèles musulmans, dont nous n’avons aucune raison de douter, indiquent que certains éléments des Forces de l’Ordre, aidés par des milices composées de civils, se livrent à des chasses aux musulmans qu’ils torturent et même exécutent ». Puis, il invite les responsables politiques au calme et au dialogue : « en passant au-dessus des considérations ethniques, religieuses ou régionalistes pour ne prendre en compte que la sauvegarde de l’unité de la nation, vous avez une lourde responsabilité, devant Dieu et devant les hommes, dans le malheur qui frappe aujourd’hui notre pays. C’est pourquoi nous vous demandons (…) de vous asseoir sur votre orgueil, un manteau trop large pour des humains ».

Qui sont les rebelles
en question ?

Le Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) est le plus important des trois groupes de rebelles. Il fait son apparition publique au lendemain du coup de force du 19 septembre. Le Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la Justice et la Paix (MJP) apparaissent au mois de novembre. M. Guillaume Soro Kigbafori est le secrétaire général de la branche politique du MPCI. Il est connu sur la scène politique ivoirienne pour avoir dirigé la FESCI (Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire) de 1995 et 1998. Cette puissante fédération était proche du FPI qui y puisait sa jeunesse. Elle rassemblait l’opposition estudiantine de gauche contre le Mouvement des Elèves et Etudiants de Côte d’Ivoire (MEECI) rattaché au PDCI-RDA au pouvoir. A cette époque déjà, M. Soro adopte des positions très à gauche qui lui valent le surnom de « Che ». Il fut plusieurs fois arrêté et emprisonné pour « subversion » sous le régime de M Bédié. La fin de son mandat à la tête de la FESCI est marquée par des affrontements armés entre étudiants. Ce fut la « guerre des machettes » sur le campus d’Abidjan. M. Soro devient alors un proche de Madame Henriette Diabaté, secrétaire général du RDR. On le voit aussi à la tête du « Mouvement de Jeunes du Grand Nord » sous le nom de guerre de « Dr Koumba ».
Le responsable des relations extérieures du MPCI est M. Louis André Dacoury-Tabley, ex-numéro 2 du FPI. Il est l’un des compagnons historiques du président Gbagbo. L’annonce de son ralliement au MPCI crée la consternation. Son frère cadet sera arrêté le lendemain par des éléments armés. On retrouvera son corps criblé de balles. Depuis cet événement, certains rebelles préfèrent rester dans la clandestinité en attendant le dénouement de la crise.
Le Sergent Félix Doh représente le MPIGO, secondé par Mohamed Sess, tandis que le Commandant Deli Gaspard représentant le MJP est secondé par Roger Banki, homme d’affaires ivoirien. De légères divergences séparent les revendications de ces différents groupes. Mais ils s’accordent tous avec M. Alassane Ouattara pour réclamer une plus grande transparence politique et l’abolition de toutes les lois inspirées de « l’ivoirité ».
Depuis le début du soulèvement du 19 septembre, 8 dignitaires religieux musulmans (Imams et prédicateurs) ont subi des perquisitions, des tortures. L’imam de la mosquée du Lycée Technique d’Abidjan a été attendu et abattu devant son domicile par des milices armées en civil appelées « Escadrons de la Morts », fondés par M. Gbagbo, dont l’existence a été révélée par M. Dacoury-Tablé après son ralliement à l’opposition armée.

La France dans la guerre
civile ivoirienne

Dans ce conflit maintes fois annoncé par les observateurs de tous bords, la France n’a pas le beau rôle. D’aucuns parlent de néocolonialisme français vis à vis de son « pré carré ivoirien ». D’autres parlent du retour à la « France-Afrique » des années 40. Pour ceux qui connaissent la Côte d’Ivoire, la rencontre de Paris n’offre aucune surprise. Car l’imbrication des deux pays est historique. Dans les années 60, alors que ses pairs du RDA réclamaient l’indépendance de leurs pays, M Houphouët Boigny souhaitait faire de la Côte d’Ivoire un département français. L’indépendance politique n’a donc pas modifié les relations économiques bilatérales. Par subordination économique ou par partenariat privilégié, l’économie ivoirienne est sous le contrôle des investisseurs français. Un contrôle garanti par un accord militaire signé en 1962, jamais remis en question, qui autorise la présence de troupes françaises. Cet accord prévoit l’intervention de ces hommes pour défendre le pays en cas « d’agression extérieure ».
En 2001, on dénombre 210 filiales d’entreprises françaises en Côte d’Ivoire. Soit le quart des filiales françaises implantées dans la zone du franc CFA (d’usage dans la sous-région et qui bénéficiait d’une parité fixe avec le Franc français). Elles emploient plus de 60000 personnes et occupent des secteurs aussi stratégiques que l’énergie, la télécommunication, l’eau, le transport, les banques, les travaux publics et l’industrie agro-alimentaire. A ces filiales il faut ajouter plus d’un millier de PME-PMI de droit local qui sont contrôlées par des capitaux français, soit plus de la moitié du secteur privé informel ivoirien. Elles concernent environ 40000 personnes. Entre les années 1996 et 2000, l’Agence de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI) estime à plus de 50% le montant des demandes d’agrément d’investisseurs français sur l’ensemble des demandes étrangères.
France Télécom a la mainmise sur l’opérateur de télécommunications téléphoniques (Côte d’Ivoire Télécom), mais aussi sur la SIM (Société Ivoirienne de Mobiles). La CIE (Compagnie Ivoirienne d’Electricité, l’équivalent d’EDF) est aux mains de la SAUR qui est une des filiales du groupe Bouygues. Elle est aussi l’actionnaire de référence de la SODECI (Société Des Eaux de Côte d’Ivoire). Dans le domaine bancaire de nombreuses banques françaises ont leurs filiales dans toutes les grandes villes ivoiriennes. La Société Générale est représentée par la SGBCI (Société Générale de Banque de Côte d’Ivoire). La BNP est présente au travers de la BICICI (Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie de Côte d’Ivoire) et le Crédit Lyonnais est représenté par la SIB (Société Ivoirienne de Banque). Le transport aérien est aussi concerné car Air France est l’actionnaire majoritaire de la compagnie régionale Air Ivoire. On peut aussi citer le bâtiment et les travaux publics où les groupes Colas, Jean Lefebvre et Bouygues se partagent le marché. Le groupe TotalFinalElf est incontournable, en Côte d’Ivoire, sur le marché des hydrocarbures car il détient 25% de la Société Ivoirienne de Raffinage et 38% de la distribution. Concernant le caoutchouc, le café, le cacao et le tabac, on voit apparaître le groupe Balloré, dont un responsable dans la région de la « boucle du cacao » reconnaît au Figaro : « La Palmci est l’une des nombreuses filiales du groupe Balloré en Côte d’Ivoire. Nous sommes intervenus au plus haut niveau pour que les forces françaises se déploient dans la région » On comprend aisément que la France, riche de son expérience du Rwanda, ne puisse longtemps rester passive devant la menace que la guerre civile ivoirienne fait planer sur ses capitaux. On comprend aussi aisément le président Jacques Chirac par sa déclaration du 7 janvier lorsqu’il promet : « une fois la réconciliation en marche, la France prendra la tête d’une alliance des donateurs pour la reconstruction économique de la Côte d’Ivoire ».
De 1997 à 2000, selon la CNUCED, les investissements directs étrangers ont baissé de 45%. Les entreprises françaises sont très concernées par ces changements. Elles se sont tournées vers d’autres pays d’Afrique, moins rentables que la Côte d’Ivoire. Le retour d’une certaine stabilité avait vu un renversement de ce flux à partir de 2001. Et les pronostics étaient plutôt bons pour cette année. En accueillant sur son sol les différents protagonistes ivoiriens pour trouver une sortie honorable à leurs différends, le gouvernement français joue certes gros, mais il n’a pas d’alternative. La conciliation africaine a été un demi-succès. Le poids de la question identitaire au centre des discussions lève toute méfiance et toute susceptibilité envers la France. Ce qui serait difficilement le cas envers un médiateur africain. Au vu des intérêts économiques et financiers en jeu et des conséquences politiques et sociales en cas d’échec, il est permis de penser que la rencontre de Paris est une autre chance pour la Côte d’Ivoire et une dernière chance pour la France en Côte d’Ivoire. Il est permis de penser, que « Marcoussis » fera entrer la Côte d’Ivoire dans une saison nouvelle. Après sa traversée de l’hiver, le pays de Houphouët mérite son printemps. Afin que, ces années de souffrance oubliées, l’on puisse s’interroger, philosophiquement : est-il possible de se forger une identité propre sans entrer en guerre, fut-ce contre soi-même ?

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