La France des mosquées au carrefour des générations
Le journaliste Xavier Ternisien dresse un portrait des principaux acteurs musulmans en France. S’il ressort de ce tableau une véritable atomisation de la vie associative musulmane, tous les dossiers ne sont pas au point mort. L’idée d’une faculté de théologie musulmane financée par des fonds publics aurait même des partisans en haut lieu.
Islam de France ? Islam en France ? Les cinq millions d’individus appartenant à la deuxième religion de France relèvent-ils du champ de l’immigration ? de l’intégration ? de la sécurité ? Difficile d’y voir clair lorsqu’il s’agit d’appréhender la mosaïque musulmane en France tant les associations et les courants sont nombreux et complexes, tant le fossé des incompréhensions reste grand et les frustrations latentes.
Dans une tentative de mieux comprendre l’évolution d’une actualité musulmane en France souvent tendue, Xavier Ternisien propose une analyse globale des différents acteurs musulmans. Sans angélisme ni amalgame, il dresse un descriptif sérieux du paysage sociologique musulman et offre par là une étude précieuse et incontournable pour tous ceux qui cherchent à mieux comprendre l’exacerbation des passions et des crispations lorsqu’il s’agit d’ »organiser » l’islam de France.
Investir l’espace associatif
Depuis leur arrivée en métropole, les citoyens (français ou non) de cultures musulmanes, des plus modérés aux plus intégristes, en passant par les personnalités les plus en vue et les convertis, ont progressivement investi l’espace associatif afin de sensibiliser les autorités politiques sur la nécessité de prendre en compte un minimum de paramètres liés à la pratique de la religion musulmane dans leur gestion de l’espace public français. Ainsi, l’aménagement de salles de prière, la construction de mosquées, la viande halal, le Ramadan, le pèlerinage à la Mecque, les lieux de sépulture… Autant de situations qui appellent à une certaine adaptabilité de la part des autorités politiques et administratives françaises. Devenus des sujets de querelle, ces dossiers sont devenus hautement passionnels ; hautement politisés aussi : « treize siècles d’histoire ont chargé le vocabulaire de l’islam, dans la langue française, de tout un lot de préjugés et de connotations péjoratives ».
Il ressort de l’ouvrage la constatation d’une véritable atomisation de la mosaïque associative musulmane. La mosquée de Paris très liée à l’Algérie, la puissante galaxie de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), les nouvelles élites issues de la classe moyenne de Français de cultures musulmanes, le Tabligh, les salafistes et autres courants musulmans entretiennent des stratégies différentes et situent leurs revendications sur des registres décalés. De surcroît, l’absence de « clergé » n’aide pas à mieux appréhender des sensibilités islamiques diverses et divisées, rendant problématique une prise en charge rationnelle de la question par les politiques.
Première génération
Au niveau de l’encadrement, 80% des 1600 mosquées qui ornent le territoire français sont encore gérées par des musulmans de la première génération d’arrivants en France. Si l’islam est certes sorti des « caves », les jeunes musulmans ne se retrouvent pas forcément dans les discours de leurs aînés. Leurs préoccupations ne sont pas les mêmes et le conflit de génération est patent. L’absence de repères de ces jeunes et le flou dans lequel ils restent plongés quant à la connaissance de leurs origines (historiques et religieuses) poussent certains, en quête d’une identité de substitution, à jouer la provocation et la confrontation en utilisant les habits de l’islam.
Faculté de théologie
A travers ce problème, Xavier Ternisien n’oublie pas d’aborder des questions aussi fondamentales telle la formation des imams, dont la majorité vient de l’étranger. En effet, « l’islam de France est trop jeune et trop pauvre intellectuellement pour fournir des imams adaptés à la réalité française ». L’idée d’utiliser l’entorse à la laïcité en vigueur en Alsace-Moselle (la séparation des Eglises et de l’Etat ne s’y applique pas) pour fonder une véritable faculté de théologie musulmane financée sur fonds publics, à l’image de ce qui existe pour les catholiques et les protestants, pourrait prochainement connaître de nouveaux développements : Jacques Chirac aurait récemment fait connaître son intérêt – officieux – pour ce projet. Sans doute s’agit-il là d’une occasion de parer certaines lacunes structurelles en vue de favoriser l’émergence d’un paysage musulman authentiquement français.

