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Intégration : le lycée dans la cité

Le lycée Lavoisier compte 550 élèves dont 70% sont d’origine maghrébine. Jean-Pierre Lafage, le proviseur, a contribué à faire régner la bonne entente et la sérénité dans cet établissement réputé difficile en y instaurant une nouvelle conception de la laïcité.

Qui se frotte à la différence en sort plus riche. C’est sans doute la devise qui continue à faire du lycée Lavoisier, à Roubaix , un exemple voire un modèle de laïcité et de tolérance . Et pour cause…Depuis l’arrivée de Jean-Pierre Lafage au poste de proviseur, il y a près de dix ans, les religions coexistent en toute tranquillité dans cet établissement où 70% des élèves sont de confession musulmane. Certaines élèves portent le voile, d’autres pas, d’autres encore l’enlèvent en entrant en classe… Bref, chacun fait comme bon lui semble, et les enseignants s’en accommodent très bien. Même les professeurs de sport ont respecté le désir de celles qui voulaient le garder : le voile est simplement glissé à l’intérieur des blouses pour éviter les accidents. Les élèves ont par ailleurs le droit de s’absenter les jours de fête religieuse chrétienne, juive ou musulmane. Pendant le mois de ramadan, les élèves se font rembourser leurs frais de cantine et aucun professeur ne se plaint du manque d’énergie ou de motivation de ses élèves en période de jeûne. Enfin, tout le lycée mange de la viande halal, même les non-musulmans. C’est ainsi que Jean-Pierre Lafage conçoit la laïcité, mais aussi la liberté. « Je défends la république de demain, tolérante et multiculturelle. La laïcité, c’est aussi le fait de permettre à toutes les cultures de s’exprimer. »

Mise à l’épreuve des habitants

Et pour cela, Jean-Pierre Lafage ne s’arrête pas à ces quelques aménagements. Le lycée dispense des cours d’arabe le week- end, mais, en vue d’intégrer les habitants du quartier, l’établissement a embauché une quarantaine de personnes en difficulté, notamment des mères d’élèves. « La politique de recrutement de CES et CEC principalement issus du quartier nous a conduits à être créateurs d’emploi, à répondre positivement à des demandes de personnes qui souhaitaient, même dans le cadre d’un travail précaire et à durée déterminée, apporter leurs compétences et échapper à l’image dévalorisante du chômage et de l’assistanat. » Dans le quartier de l’Hommelet, près de 37% de la population active est au chômage. Mieux encore, le lycée, plutôt que de s’approvisionner auprès des grandes surfaces, achète ce dont il a besoin auprès des commerçants du quartier. Mais tout cela ne s’est pas fait sans difficultés, ni sans contestations. « Au début de cette aventure, j’ai été traité d’intégriste notamment par mes pairs. » L’éducation nationale a d’abord critiqué ou ignoré les initiatives du proviseur. « Quoique vous fassiez, il y a des résistances énormes. J’ai été invité à Matignon : ils étaient intéressés. Mais dès que vous proposez des alternatives, vous trouvez des oppositions. » Aujourd’hui, au lycée Lavoisier, la question du voile, entre autres, ne se pose même pas. « Chacun est libre dans cet établissement. Ce qui serait aberrant, ce serait d’obliger une jeune fille à enlever son voile » affirme Jean-Pierre Lafage. Parmi les quatre cents filles musulmanes qui fréquentent l’établissement, seules quatre ou cinq portent le voile. Au fil des années, ce chiffre n’a que peu évolué.

Ecole ouverte 365 jours par an

Les élèves pratiquent de façon générale leur religion en toute discrétion, sans pour autant s’en cacher. Tous ces aménagements ont eu pour première conséquence une augmentation du taux de réussite de l’ordre de 25% au baccalauréat professionnel. Ainsi, l’année dernière, ils étaient près de 75 % à décrocher leur diplôme. De façon générale, le quartier a aussi ressenti les effets de l’école ouverte. « A mon arrivée, vous pouviez assister à des rodéos devant cet établissement. Les tags, il y en avait un peu partout sur les murs. Aujourd’hui la sérénité règne sur le quartier de Hommelet. » Et pour cause…L’ouverture du lycée sur le quartier et son implication aux plans éducatif et social l’ont amené à créer des partenariats avec les structures environnantes et à entreprendre un porte-à-porte avec les habitants afin de repérer les besoins du quartier et de déterminer l’aide que pourrait apporter l’établissement au titre de sa mission publique. Des cours d’arabe, de calligraphie, mais aussi de danse orientale sont au programme chaque fin de semaine et sont bien entendu gratuits. Cette notion de gratuité est tout particulièrement importante pour Jean-Pierre Lafage : « Les jeunes sont de plus en plus livrés à eux-mêmes. Il y a un abandon de l’éducation. Ailleurs, toutes les activités sportives et culturelles sont payantes. Or les enfants du quartier n’ont pas les moyens. Et vous pouvez voir des enfants de 6 ou 7 ans livrés à la rue. Or la rue n’est pas le meilleur lieu pour l’éducation. »

Le secret de cette réussite

Chaque année, une semaine culturelle dont les élèves choisissent le thème est organisée. Les cours s’arrêtent pour laisser place au dialogue et à l’échange. Par ailleurs, une fois tous les quinze jours et par groupe restreint de 15 élèves, les jeunes, accompagnés de professeurs formés, peuvent s’exprimer sur tous les sujets qui les préoccupent ou les intéressent et qu’ils ne peuvent aborder en classe. « Nous avons instauré ce système de verbalisation. Car un établissement sans problème, cela n’existe pas. En cas de conflit ou de souffrance, il faut que ces jeunes aient la possibilité de s’exprimer. Faire venir la police en cas de problème, c’est, au niveau éducatif, une démission totale, surtout aux yeux des enfants. » Pour juguler toute forme de violence, Jean-Pierre Lafage a décidé d’ajouter au personnel éducatif un psychologue thérapeute qui assure une permanence totalement confidentielle deux heures par semaine. Le thérapeute tente de déceler la souffrance des jeunes et les aide à analyser leur violence potentielle.
Pour parvenir à un tel résultat, Jean-Pierre Lafage a su bien s’entourer. Les professeurs sont partisans d’une telle conception de la laïcité, malgré leurs quelques réticences du début. D’où l’intérêt de prendre l’Autre en considération, d’aller au-devant de lui, de façon à instaurer un véritable dialogue.

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