En Palestine, on meurt, toujours et en silence
Après les interventions israéliennes dans les territoires autonomes palestiniens au printemps dernier, l’agitation médiatique est quelque peu retombée sur le conflit au Proche-Orient. Mais l’occupation israélienne demeure, et le sort des populations palestiniennes s’aggrave chaque jour : trente civils tués au cours du seul mois d’août. Dans ce contexte, seule la création d’un Etat palestinien sur les territoires occupés avec Jérusalem-Est pour capitale constitue un horizon politique de paix. Le gouvernement israélien aura-t-il le courage de l’accepter ?
Au Proche-Orient, chaque jour qui passe amène son lot de victimes palestiniennes tombant sous le coup des forces israéliennes. Pour le seul mois d’août, on dénombre plus de trente victimes civiles sur les 49 palestiniens assassinés par les forces d’occupation. S’agit-il de bavures de la part de soldats traumatisés par un métier répressif auquel ils n’étaient pas formés ? Ou au contraire cette série macabre ne traduit-elle pas un changement de politique délibéré de la part des autorités israéliennes ? C’est le député travailliste Haïm Ramon qui a posé tout haut la question au moment où le nouveau chef d’état-major, Moshé Yaalon, annonçait sa volonté de parvenir à une victoire militaire absolue pour résoudre la question palestinienne. Quant au ministre de la Défense Benyamin Ben Eliezer, il a annoncé plusieurs enquêtes sur les bavures du mois d’août. Mais pour quel résultat ? Cette attitude a fait dire au chef de l’opposition parlementaire Yossi Sarid que M. Ben Eliezer passait plus de temps à s’excuser qu’à donner des instructions à l’armée pour éviter ce genre de dérives.
En tout cas, cette saignée implacable, qui se perpétue depuis le début de l’intifada Al Aqsa il y a tout juste vingt quatre mois, se déroule sous le regard pratiquement indifférent de l’opinion internationale lasse de voir le conflit palestino-israélien s’enliser dans une escalade sans fin. En jouant le pourrissement dans la terreur, le gouvernement Sharon a réussi l’un de ses objectifs secrets, celui de voir cette opinion oublier un affrontement vieux de plus d’un demi siècle. L’arrestation spectaculaire de dirigeants palestiniens succédant aux assassinats ciblés, les humiliations successives infligées à l’Autorité palestinienne et à son vieux leader Yasser Arafat, la nature et l’ampleur de l’ opération militaire du mois d’avril contre les territoires palestiniens témoignent d’une certitude : Ariel Sharon a pris la décision stratégique de mettre fin au processus de paix signé à Oslo, un processus qu’il a qualifié de pire situation qui pouvait arriver à Israël. Pour lui, la guerre d’indépendance de1948 se poursuit avec pour objectif final l’avènement du Grand Israël qui nie totalement l’hypothèse, et a fortiori l’existence d’un Etat palestinien.
Répression aveugle
Pour mettre fin aux opérations palestiniennes et notamment aux attentats suicides, Ariel Sharon n’a rien trouvé de mieux qu’une répression aveugle qui n’épargne ni les femmes ni les enfants. La ceinture de protection érigée à grands frais autour de la Cisjordanie a pour but, à terme, de ramener les territoires palestiniens à quelques bantoustans administrés par des autochtones. Mais ces cantons sont enserrés par des colonies juives dont le carcan les prive de toute souveraineté. Mater la révolte palestinienne par la terreur d’Etat, telle est la solution suivie par le chef du gouvernement israélien. En-dehors de toute considération morale, le sobre cynisme qui lui tient lieu de programme politique ne cesse de choquer les observateurs et les diplomates occidentaux, qui estiment que cette manœuvre est vouée à l’échec. Même en Israël, des voix provenant de « colombes » ou d’intellectuels sont consternées par l’intransigeance de celui qu’on désigne encore comme le boucher de Sabra et Chatila. C’est le cas de l’historien israélien Zeev Sternhell qui déclare au journal Haaretz : « seul un esprit malade peut espérer que l’occupation des territoires entraîne la fin de la guérilla et de la terreur ».
Par son attitude, le premier ministre Likoud semble défier toute les autorités internationales. Et d’abord les Nations unies, dont la résolution du 13 mars 2002 votée au Conseil de sécurité confirme la « vision de deux Etats, Israël et la Palestine, vivant côte à côte à l’intérieur de frontières sûres et reconnues ». Quelques jours plus tard, le sommet arabe de Beyrouth proposait à l’Etat hébreu un plan de paix honorable et réaliste. Mais Ariel Sharon n’a rien trouvé de nouveau dans ce plan proposé à l’initiative des Saoudiens et qui stipulait la reconnaissance d’Israël par les Etats de la Ligue arabe contre l’évacuation des territoires indûment occupés. Même le protecteur américain, par la voix de son prédisent, a souscrit à l’idée de la création d’un Etat palestinien. Il est vrai que George W. Bush, plus que jamais arc-bouté à une attaque militaire contre Bagdad, souhaite voir son allié israélien cesser de mettre de l’huile sur le feu sur le front palestinien. Le chef de la Maison blanche cultive ainsi le secret espoir de se rallier les opinions arabes et musulmanes, qui seraient selon son savant calcul prêtes à admettre une action contre Saddam Hussein à condition que les sort des Palestiniens soit quelque peu allégé. D’où les initiatives en cours du plan d’évacuation de Gaza et Bethléem. Mais sur le terrain, une évacuation d’un jour précède une réoccupation le jour suivant dans un autre lieu avec, là aussi, le lot tragiquement habituel de tueries, de destructions de maisons, de détentions sans jugement. Seule et rare exception : le responsable du Fatah en Cisjordanie, Marwan Barghouti, dont la popularité le prémunit pour l’instant contre une mise à mort discrète et « accidentelle ». L’Etat hébreu se résout à son procès après de longs mois de détention et de mauvais traitements. Un procès que Sharon voudrait exemplaire pour accréditer la thèse selon laquelle Barghouti, comme Arafat, ne seraient que de vulgaires terroristes méritant un châtiment approprié. Fadwa Barghouti a compris le danger. L’épouse du leader palestinien, avocate de son métier, ne cesse d’alerter l’opinion internationale, de Paris à Johannesburg, sur le risque de voir son mari réduit à un simple détenu de droit commun livré à la hargne de ses geôliers.
Résolution refondatrice
Si l’impasse se prolonge, elle risque cette fois d’embraser toute la région. De Jérusalem à… Bagdad. Pourtant, les initiatives diplomatiques ne manquent pas, même si à la fin de l’été le calendrier semblait bloqué. L’idée d’une résolution refondatrice circulait dans les coulisses du Conseil de sécurité. Tout en exigeant un cessez-le feu, elle définissait les bases de la négociation éventuelle : retrait d’Israël de tous les territoires occupés en juin 1967, création d’un Etat palestinien avec Jérusalem -Est pour capitale, établissement de relations normales entre Israël et ses voisins arabes après une juste solution du problème des réfugiés.
Sans ce minimum, aucune paix durable n’est envisageable au Proche-Orient. Tous les protagonistes le savent, y compris les conseillers d’Ariel Sharon. Mais ce dernier joue sur le temps et tire le plus qu’il peut sur la ficelle au risque de faire exploser la région. C’est pourquoi, de son coté, le ministre danois des Affaires étrangères a parcouru le Moyen-Orient au cours de l’été afin d’exposer un plan européen de sortie de crise, qui suggère la création d’un Etat palestinien à l’échéance 2005. En attendant cet avenir incertain, une priorité s’impose, celle de la protection des populations palestiniennes. Elle ne sera possible que si l’Europe fait preuve de plus de fermeté dans l’action et si les parrains américains cessent leur complaisance coupable à l’égard de leur protégé. Sinon, c’est à une paix des cimetières qu’on risque d’assister un jour si le gouvernement israélien poursuit aussi impunément le rythme de ses exactions meurtrières.

