Algorithmes, IA et Fake News : enquête sur une mécanique mondiale qui menace l’espace informationnel marocain
Le monde est entré dans l’ère de la manipulation algorithmique Depuis dix ans, la désinformation est devenue une architecture mondiale, structurée autour d’un triptyque

Les travaux du MIT Media Lab, du Stanford Internet Observatory, de l’Oxford Internet Institute et de l’UNESCO (2023) convergent : la viralité de la désinformation est désormais prévisible, reproductible et industrialisable.
Cette transformation n’affecte plus seulement les grandes puissances. Elle touche de plein fouet des pays émergents à forte connectivité — dont le Maroc, devenu un acteur stratégique africain, cible d’un volume croissant de campagnes informationnelles.
1. Comment les algorithmes créent la viralité : ce que disent réellement les études
Les plateformes fonctionnent sur un modèle économique simple :
plus un utilisateur reste connecté, plus il voit de publicité.
Les algorithmes ont donc été optimisés pour favoriser ce qui retient, chocque, provoque.
Les chiffres sont sans équivoque :
◼ Étude MIT Media Lab (Vosoughi, Roy & Aral, 2018)
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les fake news se diffusent 6 fois plus vite que les faits vérifiés ;
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elles touchent une audience 70 % plus large ;
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les émotions négatives stimulent la propagation.
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◼ Meta (Facebook) — Documents internes révélés par le Wall Street Journal (2021)
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les contenus polarisants sont poussés « par défaut » par les algorithmes ;
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les équipes internes avaient identifié que « 64 % des extrémismes vus sur Facebook proviennent de recommandations automatisées ».
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◼ Oxford Internet Institute (2020–2023)
Plus de 81 pays ont enregistré des opérations coordonnés de manipulation algorithmique.
L’algorithme ne cherche pas la vérité.
Il cherche l’engagement.
2. Super-spreaders, fermes à trolls, bots : les nouvelles armées de la désinformation
La viralité n’est jamais spontanée. Elle est orchestrée.
◼ Données Reuters Institute (2022)
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0,1 % des comptes génèrent près de 80 % des fake news mondiales ;
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les campagnes organisées s’appuient sur des relais humains et automatisés.
◼ Études du Stanford Internet Observatory (SIO)
Les bots :
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créent de faux consensus ;
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manipulent les hashtags ;
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imitent le langage humain ;
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influencent les algorithmes de recommandation.
◼ Exemple concret
En 2021, SIO a détecté un réseau de plus de 35 000 bots sur Twitter, capables de produire
3 millions de publications en 24 heures, coordonnés autour d’un même narratif.
Les bots ne publient pas pour convaincre l’humain.
Ils publient pour convaincre l’algorithme — qui ensuite convainc l’humain.
3. L’IA générative : un multiplicateur de narratifs, pas un créateur autonome
Contrairement à la croyance populaire, aucune IA moderne n’a une intention.
Elle exécute, elle n’imagine pas.
Mais elle accélère tout :
◼ UNESCO (2023)
Les IA génératives permettent :
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la production de milliers d’articles par jour,
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la création de deepfakes réalistes,
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la traduction instantanée en arabe ou darija,
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la personnalisation par audience.
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◼ Problème majeur
Les IA peuvent produire du texte véridique ou faux avec la même fluidité.
Elles ne distinguent pas la vérité : elles prédisent des séquences de mots.
◼ L’IA de modération est dépassée
Selon l’EDMO :
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elle ne détecte pas les récits subtils,
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elle échoue face aux manipulations culturelles locales,
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elle réagit trop tard.
En résumé :
Les humains conçoivent la désinformation.
L’IA la multiplie.
Les algorithmes la propulsent.
4. Le Maroc : un espace informationnel sous pression dans un monde instable
Le Maroc a connu, depuis 2020, une augmentation notable des campagnes hostiles.
Les enquêtes OSINT menées par plusieurs laboratoires (dont le Global Disinformation Index, Graphika, et AFRICOM Studies) montrent trois grands axes d’attaque :
1. La question nationale du Sahara marocain
Les campagnes étrangères utilisent :
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faux comptes,
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deepfakes,
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récits sensationnalistes,
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manipulation émotionnelle.
2. La diplomatie marocaine et ses alliances stratégiques
Des opérations ont cherché à :
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brouiller les perceptions sur les partenariats africains,
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amplifier les discours adverses,
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déformer des positions officielles.
3. Les questions sociales et religieuses
Certaines campagnes exploitent :
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la sensibilité confessionnelle,
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la crédulité sur WhatsApp,
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l’analphabétisme numérique.
5. Vérification factuelle : l’empreinte numérique marocaine sous la loupe
Voici ce que montrent les données disponibles :
◼ L’Arabisation et la darija rendent la modération difficile
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La modération arabe est 8 fois moins performante que l’anglophone (Stanford 2023).
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La darija est très mal maîtrisée par les IA étrangères.
◼ Les Marocains sont parmi les plus connectés d’Afrique
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plus de 30 millions d’internautes,
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9 heures/jour en moyenne sur les écrans,
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85 % de consommation d’information via les réseaux sociaux.
◼ Les deepfakes émergent dans la région MENA
Les tests montrent que des imitations vocales en arabe classique peuvent être produites en 20 minutes.
◼ Le Maroc dispose pourtant d’atouts importants
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stabilité institutionnelle,
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montée des compétences IA,
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investissement progressif dans la cybersécurité,
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forte résilience sociale.
6. Quelles solutions réalistes pour renforcer la souveraineté informationnelle ?
Créer une cellule OSINT nationale structurée
Mission : détecter, cartographier et neutraliser les campagnes hostiles en temps réel.
Développer des plateformes numériques souveraines
Sans maîtrise des algorithmes, aucun pays ne maîtrise son récit.
Former journalistes, enseignants, imams, fonctionnaires
La désinformation se combat par :
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culture critique,
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compréhension algorithmique,
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vérification systématique.
Développer une IA marocaine éthique
Capable d’intégrer :
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l’arabe marocain,
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la darija,
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les références culturelles musulmanes,
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les réalités sociales du Royaume.
Conclusion — Pour protéger la société, il faut comprendre les systèmes
La désinformation n’est pas un accident, ni un bruit numérique.
C’est une stratégie, appuyée par :
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la puissance émotionnelle,
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la vitesse algorithmique,
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l’industrialisation de l’IA.
Le Maroc, en tant qu’acteur régional majeur, doit renforcer:
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sa souveraineté numérique,
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ses outils d’analyse,
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sa maîtrise de l’IA,
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sa protection cognitive.
Comprendre les algorithmes, c’est comprendre le monde.
Les maîtriser, c’est protéger la Nation.



