Pays arabes: Changement de stratégies
l’economiste 05.05.04
Par notre chroniqueur à Paris, Hakim EL GHISSASSI
· L’interventionnisme américain fait peur à tous
· Tripoli, Riyad… même les pays les plus rigides changent
· Difficulté majeure: Identifier les risques extérieurs
LES défis du monde arabe: tel est le thème des 9e conférences stratégiques annuelles (connues dans les cercles spécialisés sous le sigle CSA) de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) qui ont commencé hier et ce, pour deux journées, à l’Institut du Monde arabe et à la Sorbonne, à Paris.
Traditionnellement, c’est l’un des thèmes majeurs de l’actualité qui s’impose dans le choix des thèmes traités par les CSA. Ainsi, l’an dernier, alors que les temps étaient à l’invasion américaine de l’Irak et à la présence de vives tensions entre les Etats-Unis et certains pays membres de l’Union européenne -au titre desquels figuraient France et Allemagne-, les CSA avaient été consacrées aux relations transatlantiques. De même, ces 9e conférences interviennent au lendemain du changement de la majorité politique en Espagne, de l’élargissement de l’Union européenne, de la prochaine validation de la Constitution européenne et des difficultés grandissantes qu’ont les Etats-Unis à gérer la crise irakienne… sans compter la volonté qu’ont de nombreux pays arabes de revoir les fondements de leurs politiques intérieure et extérieure à une époque où la question du terrorisme est pour les inquiéter à plus d’un titre.
Démocratie contre sentiments
Les Etats-Unis ont tablé, dès le mois de février dernier, sur leur projet de «Grand Moyen-Orient», dont les grandes lignes restent proches du processus de Barcelone initié par les Européens en 1995. Le projet américain aura néanmoins suscité des réactions mitigées tant de la part des gouvernants que des populations arabes, réactions justifiées entre autres par la gestion chaotique imposée à la résolution de la crise irakienne. L’interventionnisme des Etats-Unis fait peur, en effet, et il reste source de méfiance malgré les propositions très bénéfiques pour le développement de la région, présentes dans le projet américain.
Les organisateurs des CSA ont identifié plusieurs grands volets autour desquels seront articulés les débats: ainsi de la géopolitique du Moyen-Orient, des défis sociaux et démocratiques, des questions de sécurité, des relations entre l’Union européenne et le monde arabe ou encore de la politique arabe de la France. Des universitaires, chercheurs, acteurs politiques et économiques ou encore institutionnels de premier plan interviendront ainsi, le choix des intervenants ayant été effectué en fonction des nouvelles dynamiques économiques et politiques que connaît le monde arabe. A ce titre, Saïf al Islam Muammar Al Kaddafi, président de la Gaddafi International Foundation for Charity Associations (et fils du président), devrait évoquer le récent changement radical pris par la politique libyenne. La nouvelle instance saoudienne qu’est le Conseil consultatif (Majlis Al Shoura) est représentée par l’économiste Ihsan Ali Bu-Hulaiga. C’est une présence d’autant plus attendue que les projets de réforme saoudienne expriment, en dépit de leur timidité, la transformation de la pensée saoudienne qui ne peut décidément plus rester confinée à ses traditionnels blocages politique et idéologique.
C’est ainsi que les intervenants ont, entre autres, le souci d’identifier les risques susceptibles d’être suscités par un changement provoqué et imposé de l’extérieur sans que les populations locales en soient parties prenantes.
Comment, devant les défis qui se posent au monde arabe, sera-t-il possible de favoriser les démocraties et les réformes sans heurter les sentiments des populations et des gouvernements locaux? L’Europe, qui s’est inscrite il y a 9 ans, dans le processus de Barcelone, a au moins l’avantage de rester dans sa tradition non interventionniste et accompagnatrice de réformes proposées sans coercition.
En effet, la politique économique américaine veut imposer à la région la recette toute faite d’un ultralibéralisme économique alors que la plupart des pays arabes n’ont même pas de structures capables de supporter ce passage brutal d’une économie étatique à une économie ultralibérale. Cependant, les acteurs économiques restent convaincus du potentiel de développement économique et d’investissement présent dans le monde arabe, d’où la présence d’acteurs et de décideurs aux horizons si différents.
On notera également le soutien apporté par l’Otan à ce colloque, qui pourrait refléter la possibilité que l’on a de pouvoir assister à une implication prochaine de cette instance militaire transatlantique dans la crise irakienne. En effet, l’Otan est composée de pays divers, dotée de moyens militaires conséquents, et peut donc jouer un rôle stabilisateur effectif dans la région.
On notera que le conflit israélo-palestinien, qui est certainement présent dans l’esprit des intervenants, n’a cependant pas été retenu comme thématique pour les tables rondes. Pour les organisateurs, cette question semble en effet être principalement inscrite dans le cadre des relations israélo-arabes, d’où leur volonté de ne pas décliner sa spécificité au sein d’une telle rencontre. Une erreur? Nous n’en préjugerons pas avant la fin des travaux, mais il va de soi que le fait de proposer des solutions à ce conflit pourrait pourtant relancer l’appareil économique et démocratique des pays arabes.
Ce colloque devrait, du fait de la diversité de ses thématiques et la qualité de ses intervenants, faire ressortir des solutions, et non se borner à un esprit de constatation. La signature de l’accord de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis, ainsi que la présence militaire américaine croissante dans le Maghreb, ont en effet, et en dépit des apparences, secoué l’Union européenne qui veut dès lors s’impliquer plus en avant dans un espace arabe qui regorge d’opportunités économiques. Le monde arabe reste, quoi qu’on en dise, une région prometteuse pour l’investissement et donc digne d’être rétablie à sa juste valeur.