Point de vue

L’islam, entre le monde et la France, par hakim El ghissassi

l’economiste 28 avril 2004 : www.leconomiste.com

La France laïque a toujours gardé un oeil vigilant sur le religieux et sa visibilité. Elle le fait aussi bien pour l’islam que pour les autres religions. Sortons donc de la paranoïa dans laquelle nous nous enfermons. Il y a certes une discrimination contre laquelle nous devons lutter, elle s’exprime dans le chômage, l’instruction, le logement… La société française a son histoire, ses peurs, ses querelles, ne la traumatisons pas avec nos comportements revendicatifs et ne créons pas autour de nous un cordon sanitaire.

Trop de frilosité

Aujourd’hui, l’esprit musulman est habité par une frilosité, une réactivité sentimentale dénuée de rationalité, d’objectivité et de sérénité, tant prônée par les textes fondateurs de l’islam.
Depuis des années, des fatwas ont été émises par des religieux qui montent aujourd’hui au créneau pour encourager la résistance contre la prochaine loi sur le foulard; des avis juridiques ont incité les filles à privilégier l’école et l’instruction, d’où le nombre très limité de cas de foulard dits “difficiles”. Quand le Cheikh d’Al Azhar s’exprime, un tollé s’élève contre lui, bien que pour la première fois, une institution officielle dans le monde musulman sunnite décrète le hijab comme une obligation religieuse, ce qui ne va pas être sans effet sur les populations musulmanes et donnera une argumentation supplémentaire pour stigmatiser les femmes qui ne portent pas le foulard. Celles vivant en Occident subiront également cette stigmatisation; on a fait de cette question un élément essentiel dans la désignation des bonnes et mauvaises musulmanes.
Comment ne pas parler d’inégalité entre hommes et femmes devant cette vision de la femme? Le féminin serait devenu le mal qui déprave la société et qu’il faudrait museler afin d’éviter au masculin de sombrer dans la déviance.
Dans le monde musulman et occidental, la majorité des femmes de culture musulmane ne porte pas le foulard. Non pas parce qu’elles doutent de sa prescription, mais parce que, d’une part, elles le considèrent comme une charge qu’elles ne peuvent supporter et espèrent le pardon divin, et d’autre part, elles le regardent comme un engagement politique avec toutes les conséquences que ceci peut avoir sur leur vie quotidienne. Elles tenteront d’approfondir davantage leur relation avec Dieu et de faire le jihad sur elles-mêmes. Le foulard est également, pour un certain nombre de celles qui le portent et qui cheminent vers l’orthodoxie musulmane, une façon de faire la coupure entre une vie sans pratique religieuse et une autre d’observance, il permet à ces jeunes et à ces femmes de progresser dans le chemin religieux; elles le considèrent ainsi comme une épreuve cathartique. Il est surtout pour une grande partie d’entre elles une façon de se conformer à une certaine lecture du texte. Comme il peut aussi être une volonté des parents de sauvegarder leur progéniture des déviances de la société et de garder un regard vigilant sur leur comportement.

Fausse émancipation

Ses détracteurs rejettent le foulard parce qu’ils voient essentiellement en lui une visibilité de ces populations anciennement colonisées, qui vont envahir avec leur culture la culture universelle, civilisée. Ils le regardent également comme moyen d’expression politique et d’importation des problèmes ayant fait sombrer le monde de l’islam dans la clochardisation. Comme un rappel aux guerres religieuses et à un retour à l’ordre moral. Et surtout comme une discrimination de la femme qui est déjà, lourdement discriminée dans toutes les sphères de la société. Mais aujourd’hui, c’est la femme musulmane, avec son foulard, qui est mise au-devant de la scène. C’est elle qui subit la marginalisation et la stigmatisation de l’ensemble de la société, c’est elle qui n’est plus fréquentable, qui attire les regards et symbolise par sa tenue tout le mal qu’on peut dire de la religion en général et de l’islam en particulier. Les musulmans disent qu’à travers le foulard, la femme musulmane s’émancipe. A-t-elle besoin d’une tenue vestimentaire pour s’exprimer au sein de la société, ou ce sont l’intelligence et la volonté qui sont aujourd’hui les qualités requises pour toute présence active au sein de la société? Comment peut-elle s’émanciper si elle est exclue du travail, de l’instruction et de la vie dans la cité? Le foulard la met dans la marginalité et ne fait que satisfaire l’ego enfoui de l’homme qui la regarde comme objet. Le monde de l’islam s’enflamme contre la loi interdisant le foulard à l’école. Le 17 janvier a été déclaré “journée internationale de soutien pour le hijab”. Un objet de protestation politique est trouvé. Cette question remplace les revendications locales de plus de liberté, de démocratie, d’instruction et de respect de la dignité humaine.
Le grand crédit de la France acquis grâce à ses positions contre l’invasion de l’Irak et le soutien d’une résolution équilibrée de la question palestinienne s’embrouille, les sociétés du monde de l’islam où le religieux est très présent ne comprennent pas comment le pays des droits de l’homme, de la liberté et fraternité limite la liberté religieuse, même l’administration américaine décriée à travers le monde de l’islam a été saluée pour sa condamnation de la position française. On ressort le passé colonial de la France et on fantasme tout autour. N’est-il pas temps d’ouvrir ce dossier et de crever l’abcès comme l’a fait l’Allemagne avec son histoire. Aujourd’hui, la France et ses 5 millions de musulmans ont le devoir de faire un travail pédagogique afin de rétablir la confiance; la coopération française avec le monde arabe et musulman est stratégiquement essentielle pour la stabilité euroméditerranéenne, ne la laissant pas s’entacher avec une affaire éphémère qui révèle les quelques caprices de la France et ses relations passionnelles avec le monde islamique.

· Sortir d’un débat déprimant

A côté du foulard, d’autres questions attendent les dignitaires religieux. Ce sont les questions qui ont été posées au grand Sanhédrin juif, réuni par Napoléon en 1802. Il est très recommandé aux religieux musulmans de les lire, de les méditer et de préparer les réponses adéquates s’ils désirent sortir la question de l’islam de ce débat déprimant dans lequel elle est confinée. L’islam de France souffre aujourd’hui d’un manque d’autorités intellectuelles qui s’impliquent, courageuses et responsables et qui agissent dans l’intérêt de l’intégration du culte musulman dans l’espace laïc français, en dehors de toute manipulation politique, de calculs purement électoraux ou d’un discours moralisateur qui confond le prêche religieux, le discours médiatique et la séduction, avec la recherche objective et l’effort intellectuel.
Avec la question du foulard, nous sommes entrés publiquement dans une démarcation d’avis juridiques entre les différentes tendances de l’islam. Le débat ne fait que commencer. Nous nous trouvons devant quatre conceptions de l’islam:
– une conception minée par une action politique et par le pouvoir, elle déploie des actions de résistance, et se trouve en phase avec les militants de l’islam politique,
– une autre conception, légitimiste, qui veut rester dans son rôle religieux et servir le pouvoir politique quand il fait appel à elle,
– une troisième vision loin du populisme et des manipulations politiques: elle s’emploie à une réflexion profonde mais qui ne fait pas de bruits autour d’elle,
– une quatrième conception qui tend à dénuder l’islam de son essence en poussant la critique à des points de rupture avec les fondements de la religion.
Quelle voie suivre? Celle de la sagesse, de l’humilité, du respect et du dialogue.
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* Entrepreneur en France, ancien directeur de la revue La Medina.

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