Romano Prodi :
A la tête de la Commission européenne, Romano PRODI est un président engagé dans le dialogue interculturel et le rapprochement des communautés de foi et de convictions. Entretien sur le thème des minorités nationales en Europe.
La Médina : Où en est l’adoption de la Convention-cadre sur la protection des minorités nationales en Europe ?
Romano Prodi : Elaborée dans le cadre du Conseil de l’Europe, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales a été ratifiée par neuf Etats membres de l’Union européenne : l’Allemagne, le Danemark, l’Irlande, l’Italie, le Portugal, l’Espagne, la Finlande, la Suède et le Royaume-Uni. Cette convention est le premier instrument multilatéral européen juridiquement contraignant consacré à la protection des minorités nationales en général. D’une part, elle a pour objet de protéger l’existence des minorités nationales sur le territoire respectif des parties contractantes et, d’autre part, elle vise à promouvoir une égalité pleine et effective des minorités nationales en assurant les conditions propres à conserver et à développer leur culture et à préserver leur identité.
Cette convention énonce en particulier les principes concernant les personnes appartenant à des minorités nationales dans le domaine de la vie publique, comme notamment la liberté de réunion pacifique, la liberté d’association, la liberté d’expression, de pensée, de conscience et de religion, ainsi que l’accès aux médias.
Certes, la Convention-cadre ne contient aucune définition de la notion de « minorité nationale ». Cette situation a conduit à adopter une approche pragmatique, fondée sur le constat qu’il n’est pas possible, au stade actuel, de parvenir à une définition globale susceptible de recueillir le soutien de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. La convention n’implique la reconnaissance d’aucun droit collectif et vise pour l’essentiel à assurer le droit des personnes appartenant à des minorités nationales. En outre, la mise en œuvre des principes énoncés dans la présente Convention-cadre se fait au moyen de législations nationales et de politiques gouvernementales appropriées.
Quelle différence y a-t-il entre le droit des immigrés et celui des minorités ?
Les droits des immigrés ne sauraient être assimilés ou réductibles à ceux de minorités nationales. Cependant, les droits individuels de chaque immigré sont pris en compte dans le cadre du Traité de l’Union comme de sa Charte des Droits fondamentaux. Ainsi, la quasi-totalité des droits énumérés dans la Charte sont donnés à toute personne. Il n’en va différemment que pour les droits liés à la citoyenneté de l’Union au sens strict du terme, en particulier le droit de vote aux élections locales et aux élections européennes. Pour ce qui concerne la libre circulation des personnes, la Charte affirme que tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de résider librement sur le territoire des Etats membres. Elle ajoute que ces droits « peuvent » être accordés aux ressortissants des pays tiers. Ceci renvoie au Traité sur la Communauté européenne qui dit, dans ses articles 62 et 63, qu’il peut être décidé d’étendre la libre circulation et le droit de séjour au sein de l’Union aux résidents des pays tiers.
Dans certains Länder allemands, l’impôt dédié au culte n’est pas d’application. Dans la mesure où il est accordé à certains et en discrimine d’autres, la Charte des Droits Fondamentaux ne pourrait-elle pas être invoquée pour demander sa généralisation au niveau fédéral ?
Ma réponse va en quelque sorte prolonger et préciser ce que j’ai dit précédemment. En règle générale, la relation entre Etat et religion est définie et réglementée par chaque Etat membre individuellement. Ni la Commission ni le Parlement européen, ni aucune autre institution européenne n’a le droit ou le pouvoir d’interférer ni dans l’élaboration, ni dans l’application de ces règles nationales. La Charte des Droits Fondamentaux ne peut en l’espèce être invoquée pour une quelconque interférence.
Le Parlement européen a déjà voté plusieurs motions en faveur du droit de vote relatif aux résidents des pays tiers. Seront-elles suffisantes ou faudra-t-il attendre un accord plus formel (comme celui de Maastricht) pour le mettre en application ?
Comme je l’ai déjà souligné, en la matière, le Traité de l’Union et la Charte des Droits Fondamentaux ne concernent que les droits liés à la citoyenneté européenne. Par conséquent, dans le cadre actuel, c’est aux Etats membres de déterminer individuellement et chacun pour ce qui le concerne dans quelle mesure et à quel(s) scrutin(s) il est prêt à accorder le droit de vote aux résidents des pays tiers non membres de l’Union.
A l’exception de la demi-douzaine de députés de culture musulmane au Parlement européen, existe-t-il d’autres lieux d’expression ou de représentation de la société civile où figurent des citoyens européens de culture musulmane ?
D’abord, je crois qu’il est important de mettre en évidence l’existence, dans tous les Etats membres de l’Union européenne, de multiples formes de représentation de la société civile auxquelles participent – sans aucune restriction – de nombreux citoyens européens de culture musulmane. C’est peut-être une situation banale désormais, ce qui est un signe positif en soi, puisqu’elle atteste de cette culture de partage et de tolérance qui fonde le modèle social et politique européen.
Ensuite, au niveau de l’Union européenne, j’observe que, du fait de la pluralité des courants de l’islam et de la diversité des communautés musulmanes, il n’y a pas de représentation commune des citoyens européens de culture musulmane. Cependant, parmi les membres de l’initiative « Une âme pour l’Europe », l’islam est une des religions qui participe et contribue le plus activement. Certes, c’est en ma qualité de président de la Commission, que j’ai visité le Centre culturel islamique l’automne dernier juste après la tragédie du 11 septembre. Cette visite a été aussi pour moi l’expression d’une forte conviction personnelle, celle que cette tragédie ne relève ni ne prélude à un quelconque « choc des civilisations ». A l’occasion de cette visite, j’ai aussi rencontré les Ambassadeurs des pays membres de l’O.C.I. (Organisation de la Conférence Islamique). Enfin, c’est sous mon égide que, les 20 et 21 décembre derniers, une conférence sur les droits des religions monothéistes s’est tenue à Bruxelles, avec une forte présence des grands Imams.
Durant un colloque sur le dialogue interculturel, les 20 et 21 mars derniers, vous avez défini les grandes lignes de votre participation en la matière. Quelles suites comptez-vous réserver à ce dialogue ?
Ce colloque sur le « Dialogue interculturel » s’inscrivait dans la suite de la conférence de décembre. J’y ai défini les grandes lignes de l’action que j’entends poursuivre dans ce domaine, en m’appuyant notamment sur le bilan des premières réalisations concrètes engagées. Ensuite, il est prévu une rencontre internationale consacrée aux « Cultures, religions et conflits », à Beyrouth du 19 au 21 septembre prochains, organisée par le gouvernement du Liban. Celle-ci devrait permettre de mieux définir les conditions d’un tel dialogue dans un contexte marqué à la fois par la mondialisation économique et par des aspirations à la démocratie.
Le sommet de Valence a-t-il été concluant vis-à-vis du dialogue euro-méditerranéen?
Assurément, je tiens à souligner l’importance de la décision prise à la Ve Conférence euro-méditerranéenne tenue à Valence les 22 et 23 avril derniers par les 27 ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne et des partenaires européens. Sur proposition de la Commission, ils ont adopté le principe de la création d’une Fondation euro-méditerranéenne « destinée à promouvoir davantage le dialogue entre les cultures et les civilisations et à accroître la visibilité du processus [euro-méditerranéen] de Barcelone par des échanges intellectuels, culturels et de la société civile ».

