Avec ou sans foulard
La question du foulard est devenue emblématique du dilemme des jeunes Françaises de confession musulmane qui veulent s’épanouir dans la société, tout en restant fidèles à leurs convictions religieuses. Comment faire comprendre, tant aux hommes musulmans qu’aux autres Françaises qui se veulent émancipées, que le port du foulard n’est pas signe de soumission ?
Un certain nombre de jeunes Françaises de confession musulmanes se battent pour s’épanouir au sein de la société, tout en restant en accord avec leur éthique musulmane. Retournant aux sources, elles se sont ré-appropriées leur religion en faisant fi des images toutes-faites enfermantes, et sont bien décidées à prouver qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre leur appartenance française et leur référence musulmane. Pour cela, elles tentent de « se redéfinir » en dehors des cercles culturels infantilisants.
Elles dénoncent, les injustices pratiquées au nom de l’islam. L’exemple type est la question du foulard. Comme beaucoup d’autres éléments de l’islam, elles estiment que cet attribut – dont la fonction première était au départ de protéger les femmes et de rappeler leur dignité vis-à-vis des hommes – a été détourné et redéfini dans les pays arabes. Il est devenu un élément de la soumission de la femme vis-à-vis de l’homme dans beaucoup de contrées soi-disant musulmanes. En ayant une femme voilée, certains hommes se sentent renforcés dans leur virilité, au regard des autres. Les jeunes Françaises de confession musulmane reprochent aux musulmans de reproduire dans leurs rapports avec les femmes – consciemment ou inconsciemment – des fonctionnements liés à la culture de leurs parents. Cette conception culturelle du foulard amène souvent le mari à cacher sa femme pour préserver son honneur, à lui faire croire que son entrée au Paradis dépend de sa satisfaction… En clair, le mari se place entre sa femme et Dieu.
Etre musulmane autrement
Ces musulmanes émancipées se sont appropriées leur voile. On est très loin des manifestations des années 90, dans lesquelles les hommes brandissaient des panneaux : « Leur voile, notre honneur ». Elles ont développé une estime d’elles-mêmes qui leur donne assez de forces pour s’émanciper de cette image de « femme musulmane soumise », parce qu’elles ont compris que l’on pouvait être musulmane autrement. Elles ne veulent plus être définies à partir de comportements préétablis, légitimées par un islam préfabriqué, modelé autour des besoins masculins. Elles ne veulent plus être jugées sur des attitudes censées rassurer la gente masculine sur leur chasteté. Elles ne veulent plus se projeter à travers ce que les hommes ont compris pour elles. Elles veulent se construire une image dans laquelle elles se retrouvent en tant que femme, en tant qu’être humain tout simplement. Elles ont pris conscience de leur droit à occuper une place au sein du monde. Ce qui ne veut pas dire qu’elles veulent occuper toute la place. C’est la place avec les hommes qui les intéresse, dans un rapport d’harmonie et de partage. Elles revendiquent le droit à l’épanouissement personnel, au nom des valeurs qui sont les leurs. Cette démarche vient ébranler les habitudes culturelles maghrébines qui s’accommodent souvent de la négation de la femme et de beaucoup de drames (violences conjugales, mariage forcée, permissivité outrancière pour les hommes au détriment du respect dû aux femmes…).
Mais elles dénoncent aussi un autre cercle infantilisant, celui de la complicité des médias occidentaux dans leur emprisonnement mental, qu’elles accusent de traiter de l’islam en général et du foulard en particulier à partir des propos et des attitudes des manipulateurs. De lire l’islam à travers ceux qui le déforment. D’enfermer le foulard dans une fonction de soumission à l’homme. De définir l’excision comme une particularité musulmane, le mariage forcé comme l’application du droit musulman, etc. La liste est longue. Seules les interprétations sexistes et archaïques sont vulgarisées et servent de base pour les débats publics !
Briser le silence
Elles se battent donc contre les deux extrêmes : ouvrir les yeux sur ce qui se passe à l’étranger leur permet d’élaborer une stratégie de protection envers les musulmans qui veulent les réduire à l’état d’objet. Elles se méfient de ceux qui veulent faire du foulard la seule preuve de foi, de ceux qui veulent l’imposer, de ceux qui veulent les enfermer avec, les enfermer dedans… Mais elles se méfient aussi de ceux qui veulent se servir de cette situation étrangère pour les empêcher de vivre leur religion.
Autrement dit, même si l’actualité internationale leur a aussi permis de mieux comprendre la crainte de ceux qui perçoivent le voile comme le signe de la soumission de la femme – crainte d’autant plus grande que toutes les injustices liées à la place insignifiante de la gente féminine dans les sociétés d’origine sont articulées autour de la religion –, ce n’est pas pour cela qu’elles vont accepter de réduire le foulard à cette interprétation et à cette utilisation, et qu’elles vont se l’interdire !
Cette réflexion ne va pas de soi : d’autres citoyens leur reprochent leur attache musulmane et d’autres musulmans leur reprochent leur revendication citoyenne. Leur « redéfinition » heurte à la fois le stéréotype de la femme musulmane des pays musulmans et celle de la femme moderne occidentale. Mais on le sait bien, la libération passe par la prise de parole. C’est pourquoi, il est indispensable que les femmes françaises de confession musulmane se fassent entendre et brisent le silence, avec ou sans foulard, en devenant incontournables dans les débats qui les concernent, sachant que tout les concerne…
Propos issus de la préparation du livre » L’une voilée, l’autre pas – La place des femmes dans l’islam de France « , de Dounia Bouzar et Saïda Kada, à paraître au premier trimestre 2003.
Mohammed Hamidullah
le traducteur du Coran
est décédé le 17 décembre 2002,
à l’âge de 95 ans.
La médina était sous presse lorsque nous avons eu l’information du décès du professeur Mohammed Hamidullah, nous vous exposant ici quelques traits de sa vie en espérant revenir sur sa biographie dans les prochains numéros de la médina.
Le professeur Mohammed Hamidullah nous a quittés. Il était une figure principale de l’islam de France, avec son savoir et son action. Il est le traducteur du Coran (plusieurs millions d’exemplaires ont été diffusés à travers la France et le monde francophone. Il a initié de nombreuses associations, le centre culturel islamique en 1951, l’amitié islamo-française, l’association des étudiants islamiques de France en 1962. Il était connu pour ces cours au sein de cette dernière qui représentait à l’époque l’un des lieux rares où les musulmans pouvaient se retrouver.
Il était originaire de l’Inde et de hayderabad précisément, d’une famille savante.
Sa fierté était son diplôme de hafidh (celui qui connaît le Coran par cœur), un diplôme qu’il a reçu dans le hijaz (Arabie saoudite.
Il a publié de nombreux articles (2000 environ ) traduit dans de nombreuses langues ; lui-même était polyglotte et maîtrisait au moins 5 langues. Parmi ses livres citons : initiation à l’islam, le prophète de l’islam, les documents diplomatiques du prophète, la biographie d’ibn Ishaq, et des recherches scientifiques de haut niveau comme la reconstitution du livre de botanique à partir de dictionnaires arabes tels que lissan al arab (la langue des arabes), al bahr al mouhite( l’océan). L’une de ses dernières traductions est le livre de la conduite d’Etat du jurisconsulte hanafite Assarkhassi.
Le professeur hamidullah fut un pionnier du dialogue inter-religieux en France. Il fut chercheur au CNRS et eut de nombreux échanges avec les orientalistes de l’époque, Massignon, Berque, Laoust…
De nombreux convertis à l’islam exprimaient leur souhait que Hamidullah fut leur témoin lors de la prononciation de leur profession de foi.
Nous avons appris du professeur Mohammed Hamidullah la modestie, l’humilité, le service et le refus des mondanités.

