Art et culture

Mode et industrie musicale face au discours sur l’intégration

Le discours sur l’intégration est devenu monnaie courante en France, à un tel point que l’on peut se demander s’il ne contribue pas à marginaliser tout simplement une frange entière de la population. Pourtant, les exemples ne manquent pas, concernant la mode et la musique entre autres, qui prouvent que bien des réussites ont pu être entreprises en France… à l’initiative de simples « immigrés » et/ou considérés comme tel.

Nombreux sont les spécialistes, sociologues, politologues, historiens et j’en passe, qui ont glosé sur la notion d' »intégration » et sur sa charge politique et idéologique, remontant jusqu’à la fameuse intégration des Musulmans français d’Algérie au début du siècle dernier.

Le terme est des plus récurrents dans le discours politique français. Comme les « jeans », il est indémodable ! Visant, hier, les « indigènes », il s’adresse aujourd’hui aux immigrés et plus particulièrement aux jeunes issus de l’immigration.

Fond de commerce de centaines d’associations, planche à surfer démagogique de politiciens en panne d’idées, raison d’être de groupes entiers de chercheurs en sciences sociales et en sciences humaines, il envahit, telle la Cualerpa Taxifolia – algue qui étouffe la vie marine dans notre méditerranée bien-aimée -, le champ sémantique des politiciens et des associatifs au point de le saturer lorsqu’un « foulard » fait de la résistance dans un collège ou lorsqu’une bande de « oufs » brûle des voitures en banlieue.

Formaté par les mass-média, le regard de la société française devient dichotomique : d’un côté, il voit les « intégrés », citoyens accomplis, acteurs et producteurs de civilisation. De l’autre, les « non-intégrés », « hordes barbares » porteuses de chaos, qui doivent être « civilisés » et « intégrés » à tout prix. Or l’intégration est, en fait, un processus ininterrompu et perpétuel, nécessitant de la part de chaque individu dans nos sociétés modernes des efforts quotidiens d’adaptation, et donc de socialisation permanente. Elle n’est pas un « état » comme s’acharne à nous le faire croire un certain discours sécuritaire fonctionnant sur le mode binaire : On est « intégré » ou on ne l’est pas !

En France, où l’on est fiers du modèle « d’intégration à la française » – modèle semble-t-il basé sur des valeurs « communes », comme celles qui sont gravées sur les frontons des écoles publiques, de moins en moins lisibles, d’ailleurs, pour une bonne partie de la société, en particulier pour les jeunes d’origine immigrée et les plus démunis – lorsque l’on parle d’intégration, on pense automatiquement à ces jeunes issus de l’immigration. C’est à dire, paradoxalement, à l’une des catégories les plus « intégrées » de la société française !

Rap et mode hip-hop

Prenons deux exemples parmi des dizaines d’autres qui illustrent cette « intégration ». Deux exemples dans deux secteurs complémentaires.

1) L’industrie musicale : Selon le rapport 2002 du Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP), ce secteur emploie cent soixante mille personnes en France et le marché du disque a enregistré en 2001 un chiffre d’affaire d’1,25 milliard d’euros. Dans ce secteur, le volume des ventes de la production artistique dont les acteurs sont issus de l’immigration est loin d’être négligeable. A titre d’exemple, un certain Claude M’Barali, alias Mc Solar, « black » originaire de Villeneuve-Saint-Georges, en banlieue parisienne, fut classé en 2001 neuvième dans les meilleures ventes d’albums et occupa le deuxième rang dans le Top 100. Il en fut de même pour Matt, classé 21ème sur les 150 meilleures ventes.

Ces jeunes, qui ont grandi dans ces banlieues tant stigmatisées, ne constituent pas de rares exceptions, mais sont bien une petite galaxie où brillent des noms de groupes ou d’artistes qui défrayent la chronique, comme les fameux NTM, ZEBDA, MANU CHAO, AKHENATON, PASSI et bien d’autres dont le succès reste local ou qui disparaissent faute de sponsors et de soutien de la part des pouvoirs publics.

C’est dans le rap, bien sûr – musique préférée de 48% des quatorze-dix-huit ans, toutes origines et classes sociales confondues, selon Radiométrie – que se singularisent des vocations dont la trajectoire est souvent surprenante.

Le rap, ce produit culturel, importé certes, mais adopté et adapté par une population systématiquement stigmatisée par sa supposée non intégration, fait pourtant le « beurre » des producteurs de disques, des diffuseurs et des organisateurs de concerts. Il est aussi l’oxygène de nombreuses radios qui ne vivent qu’à son rythme 24/24, telle la célèbre, Skyrock dont il constitue plus de 90% de la diffusion musicale. C’est le cas aussi de certaines chaînes de télévision. L’Etat, quant à lui, croque sa part du « gâteau » par le biais de la fiscalité.

Au-delà de cette contribution dynamique à la macro-culture et à la macro-économie de notre pays, la production de ces « non-intégrés » consolide les liens de la France avec les autres jeunes de l’ensemble francophone et contribue à l’exportation du label musical français dans toute l’Europe ainsi qu’au maintien de la France en troisième place (16,9)% dans les meilleurs chiffres d’affaires de l’industrie musicale du continent.

Et nous n’avons pas inclus la production raï, qui elle se joue à l’echelle planétaire !

2) La mode hip-hop : Les jeunes talents de banlieue y ont trouvé un espace de liberté et de créativité. Résultat : de jeunes stylistes s’y épanouissent, des petits entrepreneurs y bourgeonnent, certains même y fleurissent et leur renommée traverse l’Atlantique, tentant de conquérir sa part du marché aux Etats-Unis. C’est chose faite pour DIA, une marque de vêtements du nom de son créateur, un ancien « non-intégré » de Sarcelles, Mohamed DIA, « black » d’origine malienne. Epaulé par ses copains rappeurs du « Secteur Ä » qui ont porté sa griffe, récupéré par une filiale du Groupe JAJ distributrice de la marque Schott en Europe, il tente l’aventure américaine auprès de la National Basket-ball Association (NBA). DIA rentrera licencié de NBA pour l’Allemagne, la France et les pays du Benelux. Un chiffre d’affaires en millions d’euros !

DIA est une exception, dites-vous ? Pas du tout ! De telles tentatives sont nombreuses. Le marché de cette mode est au « top », comme l’affirment les professionnels du milieu. Il est en pleine croissance et la demande ne cesse d’augmenter. Ainsi, des marques parrainées ou sponsorisées par des groupes de rappeurs comme NTM, le 113 ou des artistes comme Joey Starr envahissent des centaines de vitrines dans toutes les grandes villes de France. Les boutiques spécialisées, se multiplient et sont bondées de jeunes de toutes couleurs et de toutes classes, gourmands de produits et de leurs dérivés portant la griffe de leurs créateurs. Cette marque s’exporte à l’échelle européenne, tout comme la marque toulousaine Bullrot, ou encore d’autres tout aussi célèbres : Royal Wear, Kobey, Urban Act, Billal, Airness, Cumpaz Wrung, etc. Là aussi, l’Etat et le fabriquant – souvent implanté en Asie sont les plus gros bénéficiaires du « pactole » hip hop ! Gravitant autour de cette galaxie, les acteurs du monde des médias font, à leur tour, fructifier leur business.

Force est donc de constater l’immense potentiel économique, artistique et culturel présent dans ces banlieues et au sein de cette jeunesse porteuse de rêves et de couleurs qu’elle traduit en centaines d’emplois et en millions d’euros pour le fisc… ce qui contraste cependant avec le peu d’initiatives encourageantes de la part des responsables politiques et des organismes d’Etat, qui ne voient la résolution des problèmes dans ces espaces périphériques, certes difficiles, qu’à travers le viseur d’un Flash-Ball . D’où l’intérêt d’adopter des mesures concrètes qui puissent promouvoir tout ce qui se fait de positif dans ces banlieues, loin des discours erronés sur l’intégration et sa définition.

Mohammed Telhine est sociologue

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