Le bassiste Thierry Mac-Lier
Né à Casablanca, au Maroc, il y a quarante-six ans, sous le double signe de l’islam et de la musique, Thierry Mac-Lier est aujourd’hui un bassiste, un réalisateur musical et un compositeur reconnu et respecté. Ses parents sont martiniquais. Son père, militaire de carrière, rencontre l’islam au cours de ses douloureuses campagnes au sein d’une armée française engagée en Indochine puis en Algérie. Leur paternel rendu à la vie civile, les rejetons de la famille Mac-Lier grandissent à Fontenay-le-Fleury puis au Val Fourré, une cité » chaude » de Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines. C’est là que Thierry entre en musique comme on entre en religion, à l’âge de huit ans. » Quand tu pousses dans les cages d’escalier, il te reste que la musique et la danse pour exister » se souvient Thierry. Ou alors la délinquance… Thierry y échappe en prenant conscience de l’importance du savoir. » A seize ans, une prof de français qui m’a ouvert les yeux « .
Dans la vie, Thierry fera musique et études. Côté musique, il jette son dévolu sur la danse et surtout la basse. Il en est professionnel depuis vingt-cinq ans. Pour ce qui est des études, il se passionne pour l’informatique et l’électronique : » j’achetais des petits montages à réaliser et des bouquins d’occasion sur l’électronique que j’étudiais pendant des heures « . Thierry transforme l’appartement familial en succursale de réparateur de télés. Des appareils qu’il remet à neuf pour tous les gens du quartier, » pour se faire la main « . Papa et maman Mac-Lier sacrifient leurs maigres économies pour lui payer une école d’ingénieurs très réputée près de Colmar. Il sort major de sa promotion. Une riche expérience qui a tout de même laissé des traces amères : » on a passé deux ans ensemble et puis, hormis deux camarades que je vois encore, les autres m’ont boudé à la fin de la formation à Colmar. Je me souviens du défilé de grosses voitures des parents d’élèves. Même pas un mot pour moi en partant. Et puis mon père est arrivé dans sa Peugeot break. Les gens du quartier s’étaient cotisés pour payer le carburant. J’ose même plus raconter cette histoire. C’est tellement décalé et caricatural que les gens n’arrivent pas à le croire. Mais j’oublierai jamais cette image « . Ses brillants résultats lui permettent d’entrer chez Dassault. Il y prépare un Doctorat en physique qu’il n’achève pas pour se consacrer à sa femme et à ses quatre enfants. Puis il monte sa propre entreprise d’électronique tout en menant de front sa carrière de bassiste. Aujourd’hui encore, il fait des apparitions remarquées dans des colloques universitaires. Les milieux de l’éducation se sont aussi intéressés à son parcours à la fois atypique, exemplaire et porteur d’espoir pour ceux que les déterminismes sociaux n’ont pas favorisé. Mais la vie va rattraper Thierry dans sa course électronico-musicale. A trente-sept ans, on lui annonce qu’il est atteint d’un cancer. Les médecins l’estiment perdu : » c’est grâce aux copains qui me veillaient jour et nuit que j’ai pu m’en sortir « . Thierry cite Alex, son complice à la guitare, » toujours présent dans les moments de spleen et les coups durs « . Et puis » l’ami de toujours « , Mohamed Mestar. Producteur et éditeur de Thierry, Mohamed a neuf ans de moins que lui. C’est pourtant à cette » sorte de grand frère « , né à Mantes-la-Jolie, que papa Mac-Lier a confié son fiston dix ans auparavant : » mon père avait senti que je n’aurai toujours que du bien de sa part « . C’est « Momo » qui l’avait fait » entrer dans le métier « . Surtout, il lui remet une basse entre les mains et le lance à nouveau sur scène à peine sorti de l’hôpital : » ça m’a évité de gamberger. Quand je revois aujourd’hui les photos de scène de cette époque, avec Faudel et Alex, et moi avec ma basse, mon bonnet et mon teint d’outre-tombe, je me dis que tous ces gens ont été formidables avec moi. Je sais tout ce que je leur dois « . C’est une période particulièrement difficile à vivre pour Thierry. Il perd coup sur coup son père et sa mère. Une maman » qui n’a fait que du bien dans sa vie » et qu’il voit » au ciel, dans son petit fauteuil, en train de regarder son feuilleton à la télé « . Et un papa qui, avant de mourir, fait promettre à ses enfants d’être fidèles à l’islam, une religion vers laquelle il s’était tourné très tôt mais dont il leur avait peu parlé. Thierry va dès lors s’attacher à découvrir l’islam. Une religion sur laquelle il pose un regard candide, confiant et avide de savoir. Mais la rencontre avec les musulmans n’est pas si simple, pas si douce, pas si belle. Enfin pas toujours. Ca, Thierry a du mal à l’accepter : » quand on est musulman, qu’on va à la mosquée, on ne peut pas faire du mal… « . Malheureusement si… Thierry ne pratique pas encore les rites de l’islam. Il se sent aujourd’hui plus en harmonie pour prier dans l’église de son enfance que dans une mosquée. Il dit vivre » sous le regard de Dieu » et ceux qui le côtoient savent que son existence reflète cette conviction. Depuis cinq ans, il vit exclusivement de la musique, en ayant accédé aux statuts de directeur musical puis de réalisateur. Il compose aussi. On lui doit des titres phares de Faudel et de Fares notamment, toujours sous la houlette de Mohamed Mestar, qui les a managés et édités avant de se consacrer à Popstars, sur M6. Thierry est de l’aventure puisqu’il compose actuellement pour les carrières solo de plusieurs des Popstars de l’an passé. Un des titres qu’il a écrits pour la chanteuse Ishtar a fait l’objet d’une sortie mondiale l’été dernier. Thierry a également assuré de la réalisation musicale pour Francis Maggiuli, l’un des compositeurs de Nolwenn, de Natacha Saint-Pier et des Dix commandements. Il est l’auteur de co-compositions et d’arrangements pour la carrière solo de l’un des chanteurs de cette comédie musicale et a réalisé récemment un titre pour Bilal, l’un des piliers de la musique maghrébine d’aujourd’hui. Ses remix de tubes internationaux ajoutent aussi à sa notoriété. On lui doit par ailleurs la composition et la réalisation sonore du nouveau générique de l’émission Islam, sur France 2 ainsi que de très nombreuses illustrations musicales pour cette même émission. Il n’a pas pour autant lâché son instrument et joue régulièrement de la basse dans diverses formations raï, jazz, funk, rap ou de variétés. Sur scène ou en studio, il a ainsi joué avec des musiciens comme le batteur Mokhtar Samba, du groupe Ultramarine, le saxophoniste Alain Debiossat, de Sixun, ou encore Gabriel » Milino » Garay, le percussionniste de Dee Dee Bridgewater. Dans ce milieu de la musique, réputé pour ses coups bas, le paraître et le business, Thierry a su préserver son humilité, son honnêteté, le respect et la fidélité. Beaucoup en témoignent. Et aussi sa générosité. Car Thierry donne, donne et donne toujours. Son savoir-faire, son temps et bien plus encore, mais ça, Thierry ne veut pas qu’on en parle. Ca fait partie de son jardin secret. » Je n’arriverai jamais à rendre le millième de ce que la vie m’a donné » reconnaît-il. Il se permet au moins d’y ajouter le panache. Avec Mohamed Mestar, il y a quatre ans, il s’est investi dans une opération au profit d’associations aidant des jeunes délinquants à se réinsérer. A la clé, un disque, Prise de conscience, avec de nombreuses personnalités, parmi lesquelles Zinedine Zidane, dont l’ensemble des bénéfices a pu financer des projets pour des jeunes de banlieues de plusieurs grandes villes françaises. Quand Thierry égrène ses souvenirs, évoquant ses parents, ses frères et sœurs, sa compagne, ses quatre enfants, ses copains, les blessures d’une vie pas toujours facile au-delà des succès, il vous offre ses yeux humides et son sourire d’enfant. L’enfant est le père de l’Homme dit-on. Cet article est l’histoire d’un coup de cœur. Thierry m’a fait cadeau du récit de son existence. J’ai rencontré un homme, grand dans ses réussites comme dans la profondeur de son humanité. Je voulais en témoigner.