Islam et citoyenneté
Au sein des partis politiques règne actuellement une effervescence particulière : la constitution des listes électorales pour la Chambre et le Sénat. Si l’on excepte les groupuscules mono-identitaires sur le plan ethno-religieux, les partis traditionnels devraient réitérer l’expérience de la diversité, accusée par le profil des candidats.
Les listes multiculturelles essaient de répondre démocratiquement à la réalité sociologique, mais aussi à la nécessité de clientéliser tout ce qui apparaît s’organiser en collectivités. Il faut alors présupposer que, du côté des électeurs, le choix politique paraît orienté par des considérations communautaires, que signent la consonance du nom, la référence commune, ou les préoccupations axées sur un électorat ciblé. Cette présupposition s’appuie aussi sur le constat d’une citoyenneté différenciée : même si les futurs élus tentent de dégager une image polyvalente, l’ascenseur communautariste leur est renvoyé à chaque fait de l’actualité touchant ceux avec qui ils partagent la culture d’origine et les contacts privilégiés.
Il est vrai que cette logique politicienne ne concerne plus les quatre ministres en fonction d’origine italienne ou le futur sénateur d’origine congolaise, mais bien davantage les candidats issus des communautés musulmanes. Où se dirigera cet électorat de masse, présenté bien souvent, à tort, comme un groupe ethno-compact, supposé prêt à sursauter d’un même bond à tout ce qui touche leur turco-arabité ou leur islamité ?
Il ne faudra alors pas s’étonner de la présence plus nombreuse d’acteurs sociaux au profil « religieux », moins liés au milieu associatif, au sein des listes présentées par les partis démocratiques. Non que la légitimité religieuse soit la seule force de mobilisation politique, mais plutôt que ces acteurs d’un genre nouveau s’efforcent de concentrer davantage de charisme en essayant de convaincre que le modèle de citoyenneté qu’ils proposent, est plus réellement respectueux des valeurs de chacun, et en particulier de leurs identités propres. En cela, ils sont aussi encouragés par le politique qui les sollicite pour leur rôle que l’on souhaiterait socio-régulateur sur le terrain conflictuel.
Certes, si telle est l’évolution, elle soulève de multiples interrogations.
D’abord, elle tranche, en apparence, avec le processus de sécularisation d’une société qui renvoie le religieux à la sphère strictement privée. Mais cette opposition relève davantage de la construction théorique par analogie historique : la laïcité des pouvoirs publics est acquise et ce n’est pas la présence de particularismes confessionnels en son sein, respectant le jeu démocratique, qui pourra la remettre en question. A condition, bien sûr, que la référence religieuse ne soit pas instrumentalisée dans l’espace public comme moyen de propagande.
Ensuite, elle pose, avec plus d’acuité, la capacité des nouveaux inclus, quelle que soit leur base électorale, à développer une citoyenneté authentique, à la base de l’égalité des droits et des devoirs pour tous.
Nous avons le privilège de disposer des instances législatives les plus multiculturelles qui soient en Europe. Dans ce contexte, la présence des « nouveaux Belges » sur les listes électorales signera-t-elle davantage un multiculturalisme de la cohabitation, teinté d’égalitarisme sur fond multi-éthnique, ou plutôt une interculturalité de la mixité, axée sur la solidarité commune ?
Essayer d’y répondre par l’action politique, c’est d’abord accepter que l’issue puisse être conditionnée par le refus de l’assignation identitaire en tant que « gadget électoral », mais aussi la volonté de se démarquer du comportement de minorité, la non-sélection du discriminatif, la construction d’un discours rationnel qui ne souffre pas de l’exception culturelle, et la capacité de se soustraire du populisme en dégageant des forces de proposition active à partir de l’universalité qui se dégage des références propres.

