Entretien avec Alain billon
« L’Etat ne se réengagera plus de cette façon si le processus échoue »
Alain Billon a été conseiller auprès de l’ancien ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement. Il revient pour la première fois sur sa participation au dossier de l’islam en France et souligne que la consultation représente quinze années d’efforts.
La Médina : Quel bilan dressez-vous aujourd’hui de l’ensemble de votre activité dans le dossier de la représentation de l’islam ?
Alain Billon: L’expérience de la représentation s’inscrit tout naturellement dans la continuité de l’effort de tous les ministres de l’intérieur depuis une quinzaine d’années. Tous avaient pris conscience que l’islam, deuxième religion de France, devait s’organiser, et que l’Etat devait intervenir pour aider à cette organisation. Quand Jean- Pierre Chevènement a commencé à réfléchir pour la mise en place d’un véritable projet sur la représentation, je me souviens que parmi les idées directrices, l’une des plus fondatrices était celle qu’on s’inscrirait en même temps dans l’innovation sans pour autant rompre avec ce qui avait déjà été entrepris par les autres ministres. Ce qu’on essayait de faire allait avoir pour conséquence d’arrêter le marquage politique de droite comme de gauche. Je m’empresse de dire que dans ce domaine précis, un personnage qui a joué un rôle très important est le président de la république qui, à sa façon, a soutenu le processus de la consultation. Nous avons eu avec ses conseillers, sans aucun caractère secret, des relations permanentes de façon à tenir l’Elysée informé de la progression de la consultation. Car cela s’inscrivait dans l’esprit de la consultation.
Avec Nicolas Sarkozy, il y a eu intervention plus active des ambassades du Maroc et de l’Algérie, afin que le recteur de la mosquée de Paris devienne président du conseil. La question de la présidence de cette institution est-elle à l’origine du retard dans le projet de la consultation ?
Je ne pense pas que cette question était à l’origine de ce retard. J’ai parlé des différentes innovations qui ont marqué le début de la consultation, il y avait là une volonté de se donner les moyens de traiter cette question définitivement, à la fois sur les questions techniques, et sur l’évaluation des forces en présence. Ceci en manifestant aux musulmans une considération que peut-être on ne leur avait pas témoigné auparavant, et en affirmant l’engagement de l’Etat à aider autant qu’il le faudrait les travaux des membres de la consultation. L’Etat l’a fait en tant que facilitateur et témoin de bonne foi et c’était aux musulmans de prendre leur responsabilités. C’est ce qui a conduit Jean-Pierre Chevènement à indiquer aux musulmans que l’Etat n’imposait pas de calendrier. Evidemment, c’était un peu optimiste, je pense, et en l’absence de termes fixés, les moins favorables à la réussite du processus ont pu parfois traîner des pieds. Avec le recul, je pense qu’il aurait fallu fixer des délais.
Durant ces deux années où vous avez accompagné les musulmans, avez-vous constaté des évolutions dans leurs façons de travailler ensemble et dans leurs volontés de faire aboutir ce projet?
Les musulmans ont très souvent dit qu’ « ils avaient fini par se connaître ». Pour certains d’entre eux, c’était certainement vrai. L’élément nouveau en vérité n’était autre que le cadre de travail, plus rigoureux et plus global que celui qui avait existé avant et surtout où chacun devait prendre ses responsabilités.
La volonté « de prendre les musulmans à témoins », selon l’expression du premier ministre, dans le cas d’un échec du projet de la consultation, a t-elle eu une quelconque influence sur le réactivité des musulmans quant à leur engagement vis-à-vis de ce projet ?
C’est difficile à dire. Le problème ne s’est pas posé du temps de Jean-Pierre Chevènement, puisqu ‘il est parti alors que les travaux de la deuxième phase, celle qui correspond à la signature du document juridique de ce projet et qui devait aboutir à la création de l’institution représentative, n’était pas loin de se concrétiser. Daniel Vaillant, alors ministre, a dû attendre que les musulmans s’entendent pour aboutir à un accord cadre. Il a marqué quelques impatiences, en janvier 2001, en indiquant que l’Etat n’attendrait pas indéfiniment. Pour la première fois, c’était une manifestation qui n’allait pas dans le sens de l’absence de délais formulée par l’Etat précédemment. En effet, 5 mois après, un accord avait été ratifié.
Peut-on parler d’un pragmatisme où plutôt d’un réalisme de la part de Nicolas Sarkozy dans sa façon d’agir?
Je pense qu’il faut rendre hommage à l’actuel ministre de l’intérieur. Il a eu plusieurs mérites pour avoir pu résister aux différentes pressions de tous bords, qui lui conseillaient d’enterrer le processus politique. Il s’est personnellement impliqué dans ce dossier difficile et ingrat -lui-même le dit-, considérant les différents dossiers qu’il a eu à traiter. Il a montré une certaine habileté et a su mettre la pression là où il fallait pour avancer. Mais peut-être que la volonté de l’Etat de faire aboutir le projet l’a poussé à aller au-delà de ses prérogatives administratives.
On vous a accusé de donner davantage de visibilité à l’UOIF et donc plus d’influence. Comment vous-en défendez-vous?
Naturellement, je conteste formellement ces accusations qui ne résistent pas à une analyse objective. Une des caractéristiques fondamentales de la consultation était de considérer qu’hormis des groupes minoritaires prônant la violence où se situant très clairement en marge des lois de la république, on avait commencé à réfléchir sérieusement à une instance représentative. Il n’y avait aucune raison de ne pas inviter une organisation comme L’UOIF où un courant comme le Tabligh, en sachant que l’examen de passage pour toutes ces organisations était de signer un document permettant aux musulmans de se reconnaître dans le respect de la loi de 1905 et des traditions laïques de la république. Une fois que ces deux organisations avaient signé ce texte fondateur, elles avaient gagné la possibilité de s’exprimer. Il est vrai que l’UOIF a un savoir-faire qui lui a permis de prendre une place importante. La consultation a été l’occasion de révéler les rapports de force entre ces organisations islamiques de France. Certains courants étaient en phase ascendante, tandis que d’autres marquaient un peu le pas.
Des jeunes du mouvement du Tawhid ont contesté la démarche suivie dans l’élaboration de ce processus. D’autre part, au sein du courant Soufi, la démarche dite alaouite sera la seule représentée par trois personnes, alors que d’autres courants se réclamant de cette même école de pensée se sont vus exclus de représentativité. Y’a t-il eu une vraie volonté de la part de l’Etat d’écarter certains mouvements et d’en favoriser d’autres?
Je reconnais volontiers que certains courants n’ont pas trouvé leur place. Il reste que la responsabilité de ceux qui étaient là était de mettre en place une instance aussi représentative que possible. Concernant les jeunes en question, je regrette qu’ils n’aient pas trouvé leur place dans la consultation. Nous avions compris que la consultation ne pouvait sortir que des mosquées et de ce fait, les mouvements qui ne s’appuyaient pas sur des lieux de culte allaient être pénalisés. Les mouvements représentés ne peuvent être qu’emblématiques: madame Bettoune était la seule femme au sein du conseil, cela ne signifie pas qu’il y’avait une volonté de ne pas introduire plus de femmes au sein du conseil. L’Etat avait signalé que la consultation devait être la plus ouverte possible.
Après trois années de travail, quels sont selon vous, les axes sur lesquels il faudra se pencher désormais?
Je pense que plus jamais l’Etat ne se réengagera de cette façon si ce processus venait à échouer. Une instance nationale, relayée par une instance régionale ne peut être perçue que comme une nécessité permettant à la communauté musulmane de dialoguer avec les pouvoirs publics.

