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Entre laïcité et islam

A l’heure où l’ensemble des sociétés arabes ont la réputation de se « réislamiser », qu’en est-il du Maroc ? Plus que les élections récentes, qui ont donné au peuple l’occasion de s’exprimer sur la question, c’est la notion même d’Islam qu’il convient de sonder. Les institutions marocaines lui donnent-elles la possibilité de faire prévaloir le religieux avant le politique ?

La problématique des rapports entre la politique et la religion revient au devant de la scène eu égard aux grands changement qui s’opèrent au Maroc.
Bien qu’il est difficile de cerner les contours de ces rapports, il y a néanmoins une unanimité qui se dégage autour de la culture politique. En effet, dans le sillage de la culture du consensus, les positions des uns et des autres sont aujourd’hui déterminées à partir de critères basés sur le lien entre politique et religion. Et là, nous distinguons entre deux
discours différents. Le premier est véhiculé par le courant laïc qui met en avant la modernité ; le deuxième émane du courant islamiste qui défend l’authenticité. Il apparaît clairement que la société marocaine est maintenant divisée en deux camps qui s’expriment à partir de leurs positions vis-à-vis du plan d’intégration de la femme dans le développement. Ce plan a donc constitué une occasion propice, pour les uns et les autres, de se démarquer. Mais auparavant, cette distinction s’est affichée lors de l’épisode communément appelé « guerre des plages » qui a mis aux prises l’Association Al Adl Wal Ihsane et les pouvoirs publics. Les deux situations ont, par conséquent, démontré quelle devrait être la relation entre la politique et la religion. Cela dit, le Maroc est-il en train de connaître une restructuration de son paysage politique ? A première vue, oui. Cependant, tous les acteurs politiques qui opèrent dans le cadre de la culture du consensus reproduisent la vision officielle des liens entre religion et politique, et ce malgré les différences des positionnements. Cette donnée implique de poser trois préalables essentiels.

L’Islam et la laïcité : quelle signification ?

L’Islam, comme il est convenu, est une religion, une législation et une politique. Quand on évoque l’islam en tant que religion, on est censé parler de la foi et des croyances qui déterminent, dans une large mesure, la nature des rapports entre les individus à travers leur comportement. Quand on évoque l’Islam en tant que politique, on met en évidence les principes de la législation politique qui sont au nombre de trois ;
• La Beïaâ (l’allégeance) en tant que mécanisme de pouvoir.
• Choura (concertation) en tant qu’outil d’exercice du pouvoir.
• La Chariaâ (législation) en tant qu cadre référentiel de l’exercice du pouvoir.
L’interférence entre les croyances et la politique législative en Islam détermine sa globalité puisque les croyances guident la société et la législation délimite le pouvoir politique. Or ces interférences poussent à réfléchir sur la place de la laïcité telle qu’elle a été élaborée par l’expérience anglo-saxonne ou par l’expérience française. Autrement dit, la laïcité constitue-t-elle une séparation entre la religion et la politique, ou bien revêt-elle une signification beaucoup plus profonde ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire de souligner un aspect fondamental. La laïcité est née dans le sillage des bouleversements qu’a connus le christianisme, soit protestant, soit catholique. La séparation en question s’est élaborée sur la base de la définition même du christianisme, qui ne s’apparentait pas à la politique ni à la législation politique. C’est cette situation qui a permis au pouvoir politique de redéfinir la nature de ses rapports avec les gouvernés. Toutefois, la problématique du lien entre la politique et la religion dans un système laïc reste posée. En effet, faut-il considérer la laïcité comme simple séparation entre la politique et la religion ou bien faut-il parler d’une tentative d’endiguement de la religion par la politique ? En tout état de cause, quand la religion est assujettie à la politique, c’est l’expression même de l’existence de l’exercice de la laïcité.
Il était nécessaire de se référer au christianisme pour essayer de comprendre les multiples fonctions assumées par l’Islam. Si celui-ci est à la fois religion et politique, cela veut dire qu’il est en contradiction avec la laïcité. Mais dans beaucoup de pays arabes et musulmans, les discours des acteurs politiques essaient de vider l’Islam de sa substance, notamment en insistant sur son côté spirituel et en ignorant son côté législatif. C’est le cas des dispositions du statut personnel, surtout chez la femme, qui sont perçues et appréhendées sous le prisme des choix laïcs puisque le droit est assujetti au pouvoir temporel.

Le pouvoir politique :
une laïcité en sursis

Le système politique est formé de deux structures : une structure de gestion et une structure de justification. La première se charge de la gestion des affaires publiques et la seconde s’occupe de l’encadrement idéologique ou philosophique des actions du pouvoir politique. L’idéal serait, dans ce cas, qu’il y ait adéquation parfaite entre les deux structures. Mais la réalité telle qu’elle se dégage du système politique marocain démontre qu’il y a un écart entre les deux. La première structure est basée sur une pratique « laïcisante », inspirée du modèle français. Et quand il s’agit d’évoquer l’Islam, cela se fait sous le prisme de la croyance, c’est à dire que l’Islam est présent en tant que religion et non pas en tant que législation. En effet, la Constitution marocaine évoque l’Islam en tant que religion et toutes les structures adjacentes telles le Ministère des Habous et des affaires islamiques, le Conseil suprême des Oulémas et les Conseils régionaux n’ont pour fonction que de sauvegarder la croyance musulmane du peuple. Et même les dispositions islamiques du Code du personnel (la Moudawana) sont assujetties au pouvoir temporel.
Par conséquent, si la structure de gestion est « laïcisante », la structure de justification se caractérise par la diversité des légitimités sur
lesquelles se fonde le pouvoir politique. Cette diversité est d’ailleurs exprimée par la Constitution marocaine qui établit les rapports entre les référentiels de manière horizontale, consacrant la primauté du référentiel religieux. Et c’est là où se situe le paradoxe puisque la structure de gestion consacre une laïcité en sursis.
L’Islam officiel est l’expression effective d’un Islam laïc qui n’insiste pas sur le volet législatif mais se contente de mettre en avant l’aspect des croyances. C’est cet Islam qui est présent dans les discours et la pratique des acteurs de la culture consensuelle. Une question se pose alors : se référer souvent à l’Islam lui ôte-t-il son aspect laïc ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire de déterminer deux dénominateurs communs qui existent entre le parti de l’Istiqlal, par exemple, et le mouvement Attawhid Wal Islah (Unicité et réformes).
Le premier dénominateur se situe au niveau de l’amalgame fait entre la perception sociale et politique des rapports entre la religion et la politique. Insister sur l’approfondissement de l’enracinement religieux de la société et l’attachement aux valeurs religieuses n’est en rien contradictoire avec la laïcité. Cette dernière n’est pas déterminée au niveau social mais bien au niveau du pouvoir politique. Les tenants de cette position, qui appellent à l’attachement aux valeurs religieuses, ne peuvent être islamistes puisqu’ils s’insèrent dans la logique laïque, étant des acteurs d’un jeu politique basé sur la laïcité. Le deuxième dénominateur se situe au niveau de la perception purement religieuse de l’Islam de la part des acteurs politiques et religieux. C’est pour cela que plusieurs expressions telles « l’identité islamique », « les valeurs islamiques », « la foi islamique » sont galvaudées. La référence à l’Islam en tant que législation n’est faite que pour des raisons tactiques, celles-là même qui ont inspiré le message adressé par feu Hassan II à la communauté musulmane mondiale en date du 9 novembre 1980.
Par conséquent, les discours des acteurs religieux qui exercent de fait la laïcité dans leur pratique, ne font que reproduire la vision officielle des rapports entre l’Islam et la politique. En fait, ces acteurs consacrent l’islamisation de l’exercice de la laïcité et stimulent le paradoxe entre la structure de gestion et la structure de justification.
Or, l’islamisation des choix laïcs pousse à distinguer entre deux courants : l’islamisme parlementaire et l’islamisme moderniste. Le premier justifie son existence par ses tentatives d’islamiser la démocratie, alors que le second essaie de démocratiser l’Islam. Mais les deux consacrent en fin de compte l’orientation laïque à travers l’assujettissement de la religion à la politique.

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