Un enjeu politique :
Plongées dans la tourmente de la guerre d’indépendance, les femmes algériennes ont fait l’objet, dès 1954, de convoitises politiques des hommes des deux camps. Alors que les autorités coloniales tentaient de les rallier sous la bannière de l’Algérie française, le FLN a su profiter de leur discrétion pour faire d’elles de véritables agents de renseignements.
Le 1er novembre 1954, lorsque la guerre d’indépendance éclate, l’Algérie vit depuis cent vingt-quatre années sous le colonialisme français. Elle représente trois départements français et, selon les propres termes du Ministre de l’Intérieur du cabinet de Pierre Mendès France, François Mitterrand, » l’Algérie, c’est la France « . De ce fait, la population résidant sur le sol algérien ne peut que refléter cette situation politique et constituer un melting-pot. Ainsi, la femme algérienne et la femme française se côtoient sans pour autant se connaître ni chercher à appréhender leurs différences culturelles. Evoquer la femme conduit donc avant tout à distinguer le champ communautaire dans lequel elle s’inscrit. Car l’Algérie de 1954 n’est autre qu’une société de communautés voire de castes, la femme française connaissant des conditions d’existence et une émancipation supérieures.
Potentiel électoral
Il est nécessaire de rappeler à cet effet que la déclaration de 1830 engageait l’Etat colonial à respecter les coutumes et la religion pratiquées en Algérie et, de ce fait, le statut de la femme. Aussi, durant la guerre d’Algérie, la femme algérienne va faire l’objet d’attentions de la part des différents gouvernements français, tandis que la femme européenne donne naissance et porte la » nostalgeria « , selon l’expression de Benjamin Stora, c’est-à-dire qu’elle pleure sur la terre perdue, sur l’Algérie française disparue, notamment après 1962.
En effet, le fossé s’élargit et le cinquième Bureau d’action psychologique prend conscience, le premier, du potentiel électoral que représente la femme algérienne, mais aussi de sa capacité d’influence au sein de la société et de la famille, de par la conception matrimoniale qui régit la communauté (en arabe, oumma est tirée de oum qui signifie mère). Les dirigeants français sont donc invités à multiplier les mesures en faveur de son émancipation : » L’Etat français décide d’harmoniser le statut juridique et les conditions de vie des Algériennes musulmanes avec les lois civiles françaises et le mode de vie occidental « (1).
Concrètement, c’est lors de son quatrième voyage en Algérie, du 2 au 5 octobre 1958, que le général de Gaulle affiche son ambition de modernisation de la société musulmane et du sort réservé jusqu’à présent à la femme. Celle-ci s’intègre donc dans le Plan de Constantine tiré du discours prononcé le 3 octobre 1958, établissant un programme de développement de l’Algérie.
Dès 1957, dans le domaine juridique, une loi est votée instituant une modification du régime des tutelles. Désormais, en cas de décès du père, la femme devient automatiquement la tutrice légale de ses enfants et n’a donc plus besoin du consentement préalable de son époux.
Cependant, c’est essentiellement après 1958 que les intentions françaises se traduisent en actes, que le FLN perçoit par ailleurs comme une atteinte à l’identité arabo-musulmane puisque la femme est dépositaire des traditions.
Toute une politique de séduction, visant à intégrer la femme algérienne dans le cadre d’une Algérie française, est mise en place.
Le droit de vote octroyé dès septembre 1947 mais jamais encore appliqué du fait de l’opposition de la communauté française, est remis à l’ordre du jour par le général de Gaulle, par le biais de la loi cadre du 5 février 1958. Ainsi, lors du référendum du 28 septembre 1958 invitant à approuver la constitution de la Vème République, les Algériennes votent pour la première fois, par obligation et sous l’œil averti de l’armée. A cette occasion, cette dernière entreprend une vaste campagne de propagande dont le slogan est : » Voter oui, c’est assurer l’émancipation de la femme musulmane « .
Forme civile du mariage
Il faut souligner que l’électorat féminin représente alors deux millions de voix et, par conséquent, un enjeu politique indéniable.
Puis, il s’agit également pour les autorités françaises d’offrir aux femmes une instruction afin d’accélérer le processus d’évolution de sa condition. De ce fait, une politique de scolarisation et d’éducation est élaborée. Un arrêté daté du 20 février 1958 étend aux jeunes filles âgées de six à quatorze ans, l’obligation scolaire dans les communes disposant de locaux et d’enseignants en nombre suffisant tandis que l’alphabétisation et l’enseignement sanitaire sont dispensés aux femmes d’âge post-scolaire.
Sur le terrain, ces démarches se traduisent par la création d’un Mouvement de Solidarité Féminine (MSF), à l’initiative des femmes des généraux Salan et Massu, au lendemain du 13 mai 1958, et qui a pour mission » le rapprochement entre les femmes des deux communautés « (2). Ou bien encore par la mise en place, dès 1957, des équipes médicosociales itinérantes (EMSI) dont le rôle, dicté par les états-majors de l’armée, était » d’émanciper les Algériennes en leur offrant de meilleures conditions de vie et une réflexion sur leur statut, puis de les faire adhérer à l’idée de l’Algérie française « , mais aussi de répondre aux nombreuses attentes de la société notamment en matière de soins.
Néanmoins, la réforme la plus importante intervient par l’ordonnance du 4 février 1959 modifiant la place de la femme dans le mariage musulman. Ainsi, la forme civile du mariage est introduite dans la mesure où l’enregistrement des actes est rendu obligatoire, les mariages sont contractés par le consentement verbal et libre des deux époux et la répudiation unilatérale et arbitraire de la femme est interdite. Enfin, le divorce judiciaire est instauré.
Cette ordonnance suscite un violent article dans El Moudjahid, organe de propagande nationaliste algérien, paru le 6 juillet 1959 : » Ainsi les Français, au surplus chrétiens ou de confession israélite, ont délibérément porté atteinte au Coran de par son essence immuable, et imposé par le sabre aux musulmanes d’Algérie les lois laïques de la France « .
Par conséquent, la guerre d’indépendance est aussi menée sur le plan politique par les deux protagonistes que sont le FLN et l’armée française. Le parti nationaliste incarnant le défenseur des valeurs traditionnelles et de l’identité arabo-musulmane de l’Algérie.
En ce qui concerne l’implication de la femme dans le conflit, sa fonction relève essentiellement d’une intendance de guerre.
En effet, la guerre est un monde d’hommes et la présence féminine au combat ne peut donc se traduire que minoritairement. Selon les archives du Ministère de la Guerre algérien, 11000 femmes ont participé officiellement à la guerre aux côtés du FLN et dans un numéro de l’hebdomadaire du parti nationaliste marocain, Al Istiqlal, paru le 7 décembre 1956, » un camp de formation accélérée pour les volontaires algériennes » est évoqué.
Leur engagement est donc incontestable mais concerne principalement la collecte de fonds, la dispense de soins, la distribution de nourriture ou encore l’information (agents de renseignements ou de liaison). Elles sont de véritables agents politiques du F.L.N.
D’autres femmes choisissent de rejoindre le camp pro-français. Quelle que soit la décision retenue par la femme algérienne et son opinion quant au devenir de son pays, il est important de ne pas oublier qu’elle doit avant tout lutter pour survivre au contexte de la guerre.
1/ D. Sambron, » L’émancipation des femmes musulmanes durant la guerre d’Algérie » in Guerre d’Algérie magazine, n°5, septembre-octobre 2002.
2/ Ibid.

