La crise ivoirienne : entretien avec Quouddous Idriss
M. Quouddous Idriss, président du Conseil National Islamique de la Côte d’Ivoire, est contrôleur budgétaire au ministère de l’Economie et des Finances, auprès du LANADA (Laboratoire National d’Appui au Développement Agricole). Il est diplômé de l’Ecole Nationale de l’Administration Publique du Maroc.
La médina : A quel titre avez-vous participé à la rencontre de Paris?
Quouddous Idriss : Nous n’ avons pas assisté à la rencontre, nous nous sommes tenus au contraire en marge de celle-ci. Notre objectif était de faire comprendre à l’opinion française et internationale qu’il n’ y a pas de guerre religieuse en Côte d’Ivoire, d’autant plus que la quasi-totalité des confessions religieuses était représentée. Nous avons eu des entretiens aussi bien avec l’épiscopat que les mosquées, et nous avons rencontré le Secrétaire général de la francophonie à cet effet.
Votre démarche répond certainement aux rumeurs que les médias ont relayées autour de cette guerre.
En effet, l’opinion internationale s’était emballée pour qualifier cette guerre d’ethnique. Quand la rébellion a éclaté, maintes personnes ont ainsi avancé que des musulmans s’étaient rebellés contre l’Etat afin d’instituer un Etat musulman. Or, cette masse qui s’est rebellée n’était pas composée que de musulmans.
Quelles ont été vos impressions après la rencontre de différentes personnalités en France ?
D’abord, que le problème de la Côte d’Ivoire était bel et bien au-devant de la scène. Les musulmans continuent d’accomplir des prières pour la paix en Côte- d’Ivoire et nous avons trouvé des oreilles attentives du côté des catholiques. Ils ont surtout apprécié le fait que cette démarche ait été initiée collégialement par des musulmans et des catholiques, conscients que les conséquences de ce problème ne pouvaient que se répercuter sur tout le continent africain.
Par ailleurs, nous avons créé en Côte d’Ivoire un forum des confessions religieuses, phénomène unique en Afrique, qui constitue une plate-forme de concertation et d’échange inter-religieux. Le dernier exemple en date est le fait pour nous d’avoir décrété trois jours de jeûne dans le pays, toutes confessions confondues, en appel au retour de la paix. Suite à quoi, une prière commune a été accomplie dans la même logique.
Quel est finalement votre sentiment sur l’ensemble des discussions et des résultats auxquels sont parvenus les participants de la Conférence sur la Côte d’Ivoire ?
Nous ne pouvons que saluer l’initiative et la position de la France pour l’organisation de cette conférence pour la paix en Côte-d’Ivoire. Cependant, la pratique de ces décisions reste difficile, et les accords ont plongé le pays dans une crise encore plus grave puisque les rebelles continuent à protester dans la rue.
Quelle solution considérez-vous être la plus adaptée au conflit pour le moment ?
Même si les partis politiques ont fait des concessions, le dialogue reste la solution. Les belligérants doive faire passer l’intérêt du peuple ivoirien avant leurs propres intérêts.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur les origines de cette guerre?
Tout musulman croit au précepte coranique selon lequel « un Etat peut postuler dans l’infidélité mais jamais dans l’injustice ». Il me semble que tous les conflits internationaux trouvent leurs origine dans l’injustice.
Aujourd’hui, je crois que le mal vient du fait d’avoir caractérisé cette nation de multi-ethnique, alors qu’à mon sens, une nation doit être synonyme d’une seule entité. Ce que nous appelons « ivoirité », c’est justement cette subdivision de la nation en classes.
Cette classification ne peut pas être sans répercussions sur la condition des musulmans en Côte-d’Ivoire car, ne serait-ce que par leurs noms et prénoms, ceux-ci ont beaucoup de mal à participer à la vie politique et surtout à créer des partis politiques. Il faut revoir la Constitution, car une Constitution représente l’image d’une nation.
Vous présidez le Conseil musulman, vous vous impliquez de ce fait dans la politique.
Je tiens à dire que je suis citoyen avant d’être musulman. Ma position ne me permet plus de faire de la politique politicienne mais plutôt de la politique islamique.
Quel est le poids économique et culturel de la communauté musulmane, et comment a-t-elle réussi à se consolider malgré les difficultés qu’elle rencontre au quotidien ?
L’islam est la première religion révélée qu’a connue la Côte d’Ivoire ; nous avons même des mosquées centenaires. Auparavant, nous avions des religions traditionnelles, mais non révélées. Toutes celles qui ont suivi datent de 1893, date à laquelle les colons sont arrivés en Côte d’Ivoire. La communauté musulmane a commencé à souffrir de déstabilisation à partir de la colonisation française.
Au début des années 70, la première association des étudiants et élèves musulmans de Côte d’Ivoire a vu le jour, soutenue par la création de la Ligue Islamique des Prédicateurs en Côte d’Ivoire.
Dans les années 80, des associations d’un autre élan ont vu le jour, comme la Jeunesse Musulmane de Côte d’Ivoire. Nous avons décidé de créer le Conseil National Islamique en 1993, qui regroupe plusieurs associations musulmanes et garantit leur bonne gestion. Ce Conseil représentera la communauté musulmane aussi bien vis-à-vis de l’Etat que des autres communautés religieuses et de l’étranger.

