Un cri contre l’injustice : l’autre face de la cause palestinienne
En France, les manifestations du printemps dernier concernant le conflit au Proche-Orient ont livré d’étonnantes leçons. Les jeunes issus de l’immigration redécouvrent l’engagement politique. Leur indignation contre l’oppression du peuple palestinien, souvent d’ordre identitaire, n’exclut pas de graves dérapages. Elle révèle aussi des ressentiments plus personnels.
En France, les manifestations du printemps dernier concernant le conflit au Proche-Orient ont livré d’étonnantes leçons. Les jeunes issus de l’immigration redécouvrent l’engagement politique. Leur indignation contre l’oppression du peuple palestinien, souvent d’ordre identitaire, n’exclut pas de graves dérapages. Elle révèle aussi des ressentiments plus personnels.
Les fameuses « Marches des Beurs » de 1983-1985, avaient suscité l’espoir de voir émerger au sein des générations issues de l’immigration maghrébine, des leaders associatifs voire politiques, capables de se hisser en modèle d’intégration et de redynamiser un processus d’intégration qui semblait alors – et semble toujours – en panne.
Quelques figures se sont, en effet, distinguées ici ou là par leur activisme associatif, par leur engagement sur des listes candidates lors des municipales ou par leur participation à la vie politique locale ou régionale. Cependant, l’espoir né de ces « Marches » fut éphémère, sanctionné entre autres par le naufrage de l’association France Plus, elle-même issue de ce mouvement.
Depuis, un certain nombre d’ associations tentent, au gré des élections, mais en vain, d’intéresser les jeunes issus de l’immigration à la vie politique locale ou à la politique en général.
Il aura fallut deux évènements majeurs pour voir, enfin, pointer un certain intérêt au politique et une relative mobilisation de ces jeunes.
Le premier événement est extérieur, relevant de la politique internationale.
En effet, la politique jusqu’au-boutiste d’ Ariel Sharon dans les territoires occupés durant ces derniers mois, et les atrocités qui en découlent, ont eu, en France, des conséquences négatives (regain du sentiments anti-juif chez certains jeunes), mais aussi un effet plutôt positif – bien qu’ encore très marginal – : elles ont introduit la « Cause palestinienne » au cœur du discours et des préoccupations d’une partie de la jeunesse et des associations musulmanes de banlieue.
Ce regain d’intérêt pour la cause palestinienne chez les jeunes, les incitent à la fois à suivre les événements et, bien entendu, à en débattre.
Demeurée pendant longtemps l’un des thèmes mobilisateurs centraux des associations maghrébines dites laïques, la question palestinienne n’était, jusqu’à ces derniers événements tragiques au Proche-Orient, qu’occasionnellement évoquée – voire complètement ignorée – par les jeunes musulmans issus de l’immigration.
L’intensification des attentats suicides en Israël et l’occupation par Tsahal des villes palestiniennes avec leurs cortèges d’horreurs, ont contribué à recentrer l’intérêt des jeunes autour de la cause palestinienne. Les facteurs identitaires (« appartenance » au monde musulman) et d’identification (transposition de situations sociales vécues ou représentées comme identiques) ne sont certes pas étrangers à ce phénomène. Car ni la situation des musulmans tchétchènes, ni l’embargo meurtrier que subit le peuple irakien, ni le massacre des musulmans en ex-Yougoslavie, ni, hier encore, le bombardement américain des populations civiles afghanes suite aux attentats du 11 septembre, n’ont suscité un aussi grand intérêt et une assez forte mobilisation de la part des jeunes issus de l’immigration musulmane ou de leurs associations.
Ainsi, à titre d’exemple, la visite à Paris, le 2 mai 1989, du président palestinien, Yasser Arafat, avait mobilisé une manifestation de soutien pour le peuple palestinien, organisée par de nombreuses associations de gauche dont des associations laïques arabes. Les jeunes issus de l’immigration musulmane – les grands frères aujourd’hui – furent, eux, peu nombreux dans le cortège, et les associations islamiques, hormis un groupuscule pro-iranien, quasi absentes du défilé.
En revanche, dans les dernières manifestations pro-palestiniennes, on a pu constater, non seulement une mobilisation assez significative de ces jeunes, mais aussi une participation relativement importante de jeunes femmes d’origine arabo-musulmane (avec et sans « foulard »). Quant à la présence de militants ou de sympathisants islamiques voire islamistes, on ne peut dire qu’elle fut marginale. Slogans, pancartes et sit-in de cette connotation ont rythmé la marche d’une bonne partie des cortèges sous le flottement des drapeaux palestiniens, de quelques drapeaux algériens, marocains et même saoudiens.
Ces constatations révèlent :
1) qu’un certain nombre de militants islamiques ou islamistes de France affichent clairement, aujourd’hui, leur volonté de sortir du champ de leur revendication traditionnelle (manifestation pour le « foulard » ou contre les profanations etc.), pour investir l’espace politique, jadis exclusif, où s’exprimait la revendication associative de gauche caractérisée par la centralité de la « Cause palestinienne » dans son discours.
2) que la cause palestinienne est probablement en passe de se réintroduire, chez les jeunes d’aujourd’hui, comme élément structurant de leurs discours « idéologique », comme elle le fut chez d’autres jeunes du monde arabe dans les années soixante-dix . Différence de taille : l’idéologie dans laquelle baignaient une partie des jeunes des années soixante-dix, fut le marxisme, le léninisme, le maoïsme, le trotskisme etc. Celle d’aujourd’hui est l’islamisme.
En d’autres termes, c’est la « Cause palestinienne » qui fut, dans le monde arabe, le vecteur essentiel de la politisation des jeunes – vecteur ô combien redouté par les régimes arabes.
Cette deuxième intifada semble, peut être, en voie d’ amorcer une certaine politisation d’une frange de la jeunesse issue de l’immigration musulmane en France et, si elle parvient à intéresser les jeunes issus de l’immigration à la politique, elle aura réussi là où les parti politiques et les associations de l’immigration français ont échoué. Car elle aura donné un immense coup de pouce à l’intégration « politique » de jeunes, hier encore complètement indifférents à quelque politique que ce soit.
Cette occasion ne peut, bien sûr, échapper à certains acteurs islamiques, aujourd’hui en voie de mutation vers le politique, qui sauront, sans doute, capitaliser cette mobilisation autour de la question palestinienne.
L’enjeu est de taille, car, les associations de gauche d’origine maghrébine – associations qui peinent désespérément à s’approprier une part de la revendication identitaire à référence islamique -, se voient, peu à peu, dessaisir d’un thème qui attisait souvent les ardeurs militantes de leurs membres. Cela contribuera certainement à « achever » ces associations, depuis fort longtemps à bout de souffle.
Deuxième événement qui a sensibilisé les jeunes issus de l’immigration au politique – interne celui-ci –, est l’imprévisible séisme provoqué par le score de l’extrême droite française au premier tour des présidentielles, le 21 avril dernier. On avait vu des jeunes, au grand bonheur des associations locales, se mobiliser, ici et là, pour inciter les habitants des cités à se rendre aux urnes le 5 mai pour le deuxième tour des présidentielles. Et même s’ils étaient relativement peu nombreux dans la gigantesque manifestation du sursaut républicain le 1er mai 2002, ils avaient envahi en masse la place de la République, le soir où la France a lavé son honneur, pour célébrer dans la joie et la fraternité le retour du pays des Droits de l’homme au rang qui fut le sien dans le monde.
Bien qu’il soit encore trop tôt pour mesurer l’impact réel de ces événements sur les jeunes issus de l’immigration musulmane et l’instrumentalisation que les associations en auront fait, une chose est sûre : l’attitude de ces jeunes face à ces événements prouve qu’ils ne sont pas aussi insensibles au politique qu’on le croit, mais que ce sont plutôt les catalyseurs qui manquent et les responsables politiques et associatifs porteurs de réel projets d’avenir qui font défaut.
Si l’extrémisme d’un Ariel Sharon et d’un Jean-Marie Le Pen, a amorcé – le premier indirectement – une certaine politisation des jeunes issus de l’immigration, c’est qu’il y a dans ce message un cri contre l’injustice. Et c’est à ce cri qu’il faudra répondre par des mesures concrètes de développement dans les quartiers les plus défavorisés, ceux qui souffrent de l’insécurité économique, et par une politique active d’égalité des chances au lieu d’y répondre avec une batterie de flash-ball.

