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Où est passée l’autorité ?

Les barbares des cités, il n’y a pas à tergiverser, il faut leur rentrer dedans, taper fort, les vaincre, reprendre le contrôle des territoires qui leur ont été abandonnés par des élus en mal de tranquillité.

Et vite ! » Qui s’exprime ainsi ? Jean-Marie Le Pen ? Un représentant de cette extrême droite toujours prête à faire de la dénonciation xénophobe l’essentiel de son argumentation ? Ou alors un défenseur en uniforme de l’ordre républicain peu disposé à prendre en compte la prévention de la délinquance, davantage séduit par la répression que par des mesures plus charitables ? En fait, l’auteur de ces propos n’est autre que Malek Boutih, le successeur de Fodé Sylla à la tête de SOS-Racisme (*). Il s’exprime sans ambages, sans cette retenue conventionnelle lorsqu’il s’agit de se déterminer face aux « barbares » qui sèment violence et terreur dans les cités. Son langage tranche avec cette culture de l’excuse transformant les agresseurs en victimes d’une société jugée responsable de toutes les dérives, de toutes les incivilités. En fait, ce « grand tout » représenté par la société serait à l’origine des pires méfaits sans que jamais la main brandissant l’arme en soit reconnue coupable. Une manière habile de faire endosser par les autres ses propres méfaits.
La preuve en est donnée, une fois de plus, que la compassion de la part d’êtres avant tout soucieux de ne pas être jugés répressifs peut mener à un aveuglement bien inquiétant. L’angélisme face aux gangs des cités peut devenir la pire des choses. Selon Malek Boutih, il existe des « petits Le Pen de banlieue », des petits dictateurs de quartier tout aussi – sinon plus ! – dangereux que celui dont on voit la mine agitée à la télévision. Ceux-là ne se contentent pas de brandir des mots. La violence n’est pas que dans leur bouche. Elle prend des formes concrètes, apportant un démenti aux libertaires pour lesquels n’existe qu’un « sentiment d’insécurité » exploité par les pouvoirs publics afin de justifier une politique de fermeté. Pour eux, la violence sociale répandue dans les quartiers défavorisés à la périphérie des villes ne serait donc que pur fantasme orchestré à seule fin d’organiser la répression.
Mais les violences externes ne sont jamais que le reflet de conflits internes non assumés en tant que tels. La figure du père, incarnation de la loi et de l’autorité, déserte notre horizon d’existence. Le policier, le professeur, le juge ne sont plus parés de cette aura conférée par l’institution légitimatrice. Cette absence d’autorité incontestée – ce à quoi l’on obéit sans explication, sans justification, sans discussion – fondait pourtant le lien social. Sans autorité fondatrice, chaque individu est renvoyé à lui-même, à ses inquiétudes, à sa peur de l’autre.
Désormais, nos sociétés démocratiques ne peuvent plus s’en remettre à un pouvoir de type patriarcal inscrivant chacun dans des rapports hiérarchiques clairement définis, imposés et acceptés. Passer d’un système autoritaire coercitif à un type d’autorité librement accepté n’est pas chose facile. Cela réclame de chaque membre de la société une forme de « vertu » où le bien commun fait bon ménage avec la liberté individuelle. Pour cela, il s’agit, moins que jamais, de fuir devant le réel. Il s’agit, plutôt, de reconnaître l’extrême danger d’une démission devant les non-respects de la loi. Car celle-ci demeure le socle sur lequel repose notre bien commun le plus précieux : le respect de chacun dans sa dignité.
(*) Le Monde, 13 juin 2002.

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