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Au sortir des urnes

Si l’économique est indissociable du politique, ce que le Maroc vient de vivre ce 27 septembre en dit long sur les réformes économiques à appliquer durant les cinq prochaines années. En surprenant le Landerneau politique par la nomination de Driss Jettou au poste de Premier ministre, Mohammed VI a signifié la primauté de la relance économique sur le reste.

Des élections démocratiques que le Maroc a vécues le 27 septembre dernier rompent nettement avec les habitudes politiques de ce pays. C’est quasiment le constat de tous les observateurs nationaux et internationaux qui ont eu à s’exprimer sur le caractère régulier de ce scrutin. C’est le président du groupe parlementaire de l’Union socialiste des forces populaires, Driss Lachgar, qui a le mieux résumé l’issue de ces élections : « Nous pouvons dire sans aucun risque de ne nous tromper que le Maroc a emprunté la voie de la démocratie. Ce qui s’est passé ici n’a rien à envier aux modèles occidentaux ». Le royaume vient d’entamer sa mue vers la démocratie dont le pays en avait grand besoin pour panser ses maux. Et ils sont légion. Il s’agit pour les partis politiques qui avaient la lourde tâche de conduire le nouveau gouvernement de savoir comment passer d’une économie de rente à une économie de marché où seul le mérite a droit de cité. Selon les spécialistes de l’économie marocaine, c’est la seule voie qui à terme permettra au royaume de sortir de la quadrature du cercle.
C’est ce que Mohammed VI a bien compris. Même s’il a surpris le Landerneau politique du pays par la nomination du ministre de l’intérieur sortant, Driss Jettou, au poste de Premier ministre. Dans son éditorial du 10 octobre, Abdel Mounaïm Dilami, directeur de publication de L’Economiste a déclaré : « Les élections, avec le système proportionnel choisi par les partis politiques, ont donné un paysage politique très éclaté. Immédiatement après, les marchandages et la transhumance politique ont commencé, ce qui risquait de dénaturer jusqu’au choix politique des électeurs. Les conflits entre partis pour la prééminence ont pris des proportions anormales. Tout cela risquait sérieusement de nous entraîner loin des objectifs recherchés, à savoir l’efficacité et la performance économique et sociale du Maroc « . Dans ce contexte, Mohammed VI n’est pas allé par quatre chemins pour appliquer le droit que lui donne la constitution. L’article 24 de la loi suprême du pays stipule que : « le roi nomme le Premier ministre, sur proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement. Il peut mettre fin à leurs fonctions. Il met fin aux fonctions du Gouvernement. Soit à son initiative, soit du fait de la démission du Gouvernement « .
Dans ce pays où le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté absolue (moins d’un euro de revenus par jour) atteint les cinq millions, comment réussir à asseoir une économie saine, vecteur d’une croissance non erratique ? Telle est la grande question que se posent tous les partis, notamment les quatre premiers (USFP, Istiqlal, PJD, RNI) qui ont été les premiers à l’issue du verdict des urnes. À proprement parler, il ne s’agit pas de programmes économiques, au sens de modèles économiques pour tirer le pays des problèmes structurels de sous-développement. Leurs offres se limitent plutôt à des inventaires. C’est là, toute l’incohérence ou tout le paradoxe que connaissent les partis marocains en matière économique.  » Il n’y a pas assez d’originalité dans les programmes des partis politiques marocains. Certains font des yeux doux à la Banque mondiale ou au Fonds monétaire international. De ce fait, ils sont obligés de souscrire aux conditionnalités de ces deux institutions financières. Enfin, il y a des directives issues des discours du roi dans lesquels tous les partis tirent un certain nombre d’idées pour ne pas être en porte-à-faux avec les recommandations du chef de l’Etat « , résume un universitaire et homme politique qui préfère garder l’anonymat. Pour s’en convaincre, il suffit tout simplement de se référer à une déclaration du Premier ministre sortant, qui a évoqué tous les points existant dans les différents autres programmes économiques. Les connotations sont sensiblement les mêmes entre ces différentes formations. Toutes ont insisté sur le respect des grands équilibres économiques, ainsi que sur l’épineux problème de l’emploi et de la croissance forte et soutenue sur une longue période. Mais pour y arriver, ils ne donnent aucun moyen d’appui. « Dans les formations politiques marocaines, il n’existe pas une culture de programmes économiques parce que toutes les élections qui se sont déroulées sont passées autour d’un seul programme et d’une seule vision sociétale du Maroc « , renchérit le même universitaire. Ces différentes contradictions politiques et économiques au niveau des formations marocaines ont certainement poussé le roi à user de ses prérogatives. Ce qui justifie la nomination de Jettou à la tête de l’exécutif.
Dans son discours du 11 octobre adressé à la nation, le monarque a surtout insisté sur les vraies préoccupations de l’heure du Maroc. C’est notamment l’emploi productif, le développement économique, l’enseignement utile et le logement décent. Comment réussir ces différents chantiers afin de tirer l’économie et la société marocaines vers le haut ? C’est sur le succès de ces projets que le gouvernement du technocrate Jettou sera jugé.
Pour y arriver, il n’existe pas quatre chemins. L’urgence est de porter l’essentiel des efforts sur la création d’emplois. En effet, c’est sur la réussite de cette bataille que le nouveau gouvernement pourra apporter un remède aux maux sociaux, en particulier la pauvreté et la marginalisation d’une large frange des couches sociales. Mais celle-ci ne se fera pas sans un développement économique lui-même, intimement lié à l’investissement national et international. Pour ce faire, l’une des priorités du nouveau gouvernement sera le démantèlement des entraves à l’investissement productif. D’ailleurs, a ajouté le roi dans son discours : « la réalisation de cet objectif passe par le respect des règles de bonne gouvernance de la chose publique, la mise en œuvre rapide et en profondeur de réformes administratives, judiciaires, fiscales et financières, le développement rural et la mise à niveau des entreprises ». Et comme tout ce qui relève de la bonne gouvernance agit éminemment sur tous les paramètres, politique, social et économique, aucun résultat ne sera possible sans un développement éducatif à ce niveau.
Car, il faut le rappeler, avec une stratégie à long terme basée sur l’économie du savoir, le Maroc aura toutes les chances de réduire largement l’effet pernicieux de la pauvreté. C’est à partir de ces calculs que la nomination d’un technocrate à la tête du gouvernement doit être considérée. Il s’agit de faire suffisamment d’économies pour doper la croissance du pays afin , disent les entrepreneurs, d’aider l’entreprise à atteindre le plein emploi. Cela ne fera, d’ailleurs, que diminuer la fracture qui existe aujourd’hui entre les couches sociales au royaume. La finalité d’une telle entreprise est naturellement l’apaisement de la grogne sociale qui monte de plus en plus. Une façon aussi de couper l’herbe sous les pieds des partis islamistes, notamment le PJD ( troisième parti à l’issue des élections du 27 septembre) et le mouvement social Al Adl Wal Ihssane du Cheikh Abdessalam Yassine.

Apaiser la grogne sociale
Dans ce registre, le secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane n’a eu aucun complexe à parler dans l’édition spéciale de La Vie économique du 13 septembre de la carence de son mouvement en matière économique. « Je reconnais qu’au sein du mouvement islamiste auquel j’appartiens, les questions économiques n’étaient pas placées en tête de nos préoccupations. Mais, aujourd’hui, celui qui ne maîtrise pas l’économie n’a plus sa place en politique. Notre programme électoral, qui se prononce sur ces questions-là, est en cours de finalisation, mais d’ores et déjà, je peux dire que notre pays a besoin, et d’urgence, des réformes économiques ». Difficile de comprendre, même avec plus de 40 sièges au futur Parlement, ce qu’un parti comme le PJD aura à proposer en matière économique. Hormis sa vision sociétale du Maroc de demain, les seuls arguments apportés par son secrétaire général se résument ainsi dans la même édition spéciale : « Nos propositions économiques et fiscales vont dans le sens de la réduction du nombre des impôts et de leur simplification. Notre système fiscal est en décalage par rapport à la réalité et aux besoins de certains secteurs économiques ». Insuffisant, sans doute, pour un parti qui nourrit de grandes ambitions.
Cela dit, l’action du roi peut être interprétée comme étant un dépassement des querelles politiques. En désignant un technocrate à la tête de l’exécutif, il montre l’urgence des défis à relever sur le terrain économique et social pour un Maroc plus prospère. Sans cela, le royaume présente tous les signes avant-coureurs pour s’installer durablement dans une économie atone.

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